Le Monument-National était rempli de «vraies» personnes ayant payé leurs billets, mardi, soir d'élections, pour entendre et voir le conteur Fred Pellerin. Des gens de tous les âges qui avaient pourtant tous le même âge devant le frêle Fred: celui de se faire conter des histoires à rêver assis, à rire aux éclats au point d'en avoir mal aux côtes, à avoir les larmes aux yeux et le moton dans le gargoton...

Une fois de plus, toujours avec son air de venir tout juste de se réveiller - on le dirait même habillé en «p'tit jama», pour reprendre son expression - Fred Pellerin a, avec son spectacle L'arracheuse de temps, ensorcelé la salle dès les trois premières secondes. Grâce à ses histoires nées dans son Saint-Élie-de-Caxton natal, Méo le coiffeur, le «Curé neu» (neuf), Toussaint Brodeur le vendeur de bières «s'a slide», la bonne femme Gélinas et sa trâlée d'enfants, la mystérieuse Stroop douée du «don d'ambiguïté» prennent - ou plutôt reprennent - vie et, contre toute attente, donnent du sens à la nôtre, de vie.

 

Car dans ce quatrième conte de Fred Pellerin, les liens entre le Saint-Élie imaginaire et le Saint-Élie réel sont plus nombreux. C'est la mort qui unit le conte à la vie, c'est le deuil qui fait d'une personne aimée un personnage de légende. Et s'il y a une morale à tirer de L'arracheuse de temps, c'est Pellerin qui la résume par la bouche d'un de ses personnages: «Y a ben du monde qui attendent de mourir avant de se mettre à vivre.»

Il ne sert à rien de chercher à résumer ce conte: tout est dans le bagou, la façon de s'exprimer, d'habiter la scène, de rire et de décrire qu'a Fred Pellerin, sa manière même de tenir sa tasse, de plonger dans le grivois sans avoir l'air d'y toucher ou de se tenir, seul, sous un projecteur. Qu'il suffise de savoir que cette fois-ci, il chante beaucoup plus, et aussi joliment que sur le disque Fred et Nicolas Pellerin, enregistré avec son frère l'an dernier.

S'accompagnant à la guitare, à la mandoline ou au piano, Fred chante avec à propos la poignante Complainte à mon frère (de Louis Hébert et Philippe Gagnon, popularisée par Jean Lapointe dans le film Les ordres), mais aussi du Willie Lamothe, du Gilles Vigneault, la traditionnelle Blanche comme neige et même, à la toute fin, la chanson Belle rose, que son père André aimait tellement et qui est, lui aussi, parti trop tôt...

Le temps aidant, le temps passant, lui aussi deviendra sans doute personnage de légende, comme l'est devenue Bernadette, grand-mère de Fred Pellerin, source d'inspiration fondamentale et rôle-clé de ce conte qui modifie à jamais notre façon de voir les couleurs d'un feu de circulation ou la carte de la dame de pique.

Les représentations au Monument-National affichent complet, mais la tournée du Pellerin conteur se poursuit partout au Québec et une supplémentaire est déjà annoncée le 17 avril 2009, au Théâtre Maisonneuve.

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L'arracheuse de temps, de Fred Pellerin, au Monument-National jusqu'à samedi. Supplémentaire: le 17 avril 2009 à la salle Maisonneuve de la Place des Arts.