Grâce au festival qu'elle dirige depuis bientôt 30 ans, Marie-Hélène Falcon prend l'air à longueur d'année, voyant tout ce qui se fait en théâtre et en danse dans le monde. Et grâce à ses découvertes, chaque année au mois de mai, c'est une grande bouffée d'air frais, et parfois sulfureux, qui souffle sur Montréal.

Marie-Hélène Falcon le répète inlassablement depuis des années. Elle a le plus beau job en ville. Elle voyage, elle rencontre des artistes fulgurants, elle voit des spectacles troublants. Partie environ trois mois par année, la dame aux cheveux blancs va à la pêche partout en Europe, mais aussi en Amérique du Sud et parfois en Asie. Mais qu'on se comprenne bien, cette immense liberté vient avec une immense responsabilité: celle de choisir des oeuvres qui parlent de nous-mêmes en nous parlant des autres et qui auront une résonance dans notre coeur et notre conscience.

«Des fois, je vois des spectacles étonnants, mais qui n'ajoutent rien de plus à nos débats. Dans ce temps-là, je passe», me dit-elle au milieu d'un bureau bourdonnant au huitième étage d'un édifice de la rue Sainte-Catherine.

Sa mission

Pour ceux qui l'ignorent, Marie-Hélène Falcon a fondé le Festival de théâtre des Amériques en 1985. À l'époque, l'événement avait lieu aux deux ans, ce qui ne l'a pas empêché de jouer un rôle déterminant dans la carrière de Robert Lepage et de Denis Marleau, les deux plus grosses pointures internationales de notre théâtre.

En 2003, le Festival international de nouvelle danse a fermé ses portes. Falcon a proposé au gouvernement la création d'un festival annuel qui réunirait le théâtre, la danse et les arts de la performance. Le FTA dans sa forme actuelle est né en 2007 avec un budget plus important (environ 3 millions), de nouveaux locaux et une équipe d'environ 10 permanents. Deux adjoints, Martin Faucher et Karine Denault, ont été recrutés pour assister Falcon dans ses pérégrinations à l'étranger.

Malgré les changements structurels, la directrice n'a jamais perdu de vue sa mission: combattre l'isolement géographique et culturel du Québec en y présentant ce qui se faisait ailleurs de plus innovateur et parfois aussi de plus radical. «L'idée de ce festival a toujours été de permettre au public québécois de voir de grands spectacles en même temps que le reste du monde.»

C'est grâce à Falcon et aussi à la Ville de Montréal, qui cette année-là fêtait son 350e anniversaire, que les Montréalais ont pu découvrir la formidable machine théâtrale d'Ariane Mnouchkine. Après Les Atrides à l'aréna Maurice-Richard, la troupe de Mnouchkine est revenue en 2007 à l'aréna de Lachine présenter Tambour sur la digue. Mais aujourd'hui, la directrice du FTA concède que c'est devenu quasi impossible de présenter leurs productions. Trop cher, trop lourd, trop compliqué. Qu'à cela ne tienne, Romeo Castellucci et son très controversé Sur le concept du visage du fils de Dieu, qui a soulevé l'ire des catholiques intégristes un peu partout, prendra le relais. Une rencontre avec le public et Castellucci est même prévue le 1er juin au théâtre Jean-Duceppe.

«Castellucci, je le connais et je fréquente ses oeuvres depuis longtemps, dit Falcon. J'ai une admiration sans bornes pour cet artiste qui ne fait pas de concessions, qui est en constante réflexion sur l'état du monde et sur lui-même. Pour lui, créer un spectacle, il faut que ce soit vital, sinon ça ne vaut pas peine. Or malgré son rayonnement international, il ne reçoit aucune subvention de son pays.»

Castellucci, comme bien d'autres artistes de sa trempe, réussit à coproduire ses oeuvres grâce à l'apport financier de plusieurs festivals dont le FTA. Reste qu'au chapître de la coproduction, le FTA consacre l'essentiel de son budget de création à de jeunes créateurs québécois émergents qui deviendront peut-être les Édouard Lock ou les Robert Lepage de demain.

Tourmente

Cette année, le FTA risque de se dérouler dans un climat de grande fébrilité. Si la crise n'est pas réglée, les étudiants abonnés au FTA seront plus enclins à marcher dans les rues de Montréal la nuit qu'à aller s'asseoir dans un théâtre.

Mais Marie-Hélène Falcon n'est pas inquiète. «Le débat de société que les étudiants ont déclenché est beau. C'est un électrochoc. Personnellement, j'ai beaucoup d'admiration et de respect pour les petits carrés rouges et pour la générosité de leur entreprise. Peut-être qu'il y aura moins de jeunes dans nos salles, peut-être que non, dans la mesure, où sans avoir prévu le débat, plusieurs spectacles traitent de la révolte des jeunes dans un monde en pleine tourmente.»

Depuis près de trois décennies, Marie-Hélène Falcon a toujours tenu à présenter des oeuvres fortes et brûlantes d'actualité. Cette année ne fait pas exception avec Alexis, una tragedia greca, mettant en scène une Antigone échevelée qui réclame justice pour Alexis, un étudiant tué par la police dans une manif. Or pour une fois, il faut prier pour que le théâtre reste au théâtre et qu'il ne soit pas rattrapé, sous le coup d'une loi spéciale, par la réalité.

Le Festival TransAmériques, du 24 mai au 9 juin.

Infos: fta.qc.ca

Le choix de Marie-Hélène Falcon



Sur le concept du visage du fils de Dieu
de Romeo Castellucci

Fan de longue date du travail de l'Italien, Marie-Hélène Falcon a vu ce spectacle bien avant qu'il ne fasse scandale.

Photo fournie par le FTA




Cesena
de la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker

Pour l'audace de la proposition chorégraphique et l'utilisation étonnante d'une musique du XIVe siècle.



Chante avec moi
d'Olivier Choinière

Une reprise avec 50 chanteurs, une chanson lancinante et une réflexion fascinante sur le conditionnement.



Alexis una tragedia greca
, de la troupe Motus

La poésie de Sophocle revisitée par Brecht dans la Grèce d'aujourd'hui sur fond de crise sociale et de révolte étudiante.



Life and Times Épisode 1 du Nature Theater of Oklahoma, une compagnie new-yorkaise

Pour l'originalité absolue d'un projet où théâtre et téléréalité se confondent.