Les enjeux de racisme systémique, de discrimination et d'exclusion des minorités ethnoculturelles font l'objet d'un débat explosif dans le milieu de la danse. Alors qu'une chorégraphe vient de recevoir des «excuses officielles» du Regroupement québécois de la danse, plusieurs artistes de la diversité souhaitent la «décolonisation» du milieu.

Propos blessants, manque de respect, faible représentation des minorités visibles... Le Regroupement québécois de la danse (RQD) a fait amende honorable dans une lettre d'excuses adressée à une ex-membre de son conseil d'administration.

La chorégraphe montréalaise Rhodnie Désir affirme avoir été traitée injustement à la fin de son mandat à la présidence du comité diversité du RQD - comité qu'elle a contribué à mettre sur pied entre 2012 et 2014.

En février 2015, Mme Désir - aujourd'hui présidente du conseil d'administration de MAI (Montréal, arts interculturels) - s'est retirée complètement du RQD, à regret, après que le danseur David Rancourt, recommandé par un consultant externe, eut été nommé à la présidence du comité diversité. Très engagé dans sa discipline, membre du RQD depuis 2000, M. Rancourt siégeait alors au comité avec «trois autres hommes blancs» - un non-sens aux yeux de Mme Désir. «C'est effrayant! Ça prouve qu'il y avait un problème de gouvernance, et de graves lacunes en matière d'inclusion au sein du Regroupement.»

Trois ans après les événements, le 5 décembre dernier, le RQD a envoyé une lettre d'excuses officielles à Rhodnie Désir, en guise de «nécessaire geste de réparation». Cette lettre est signée par la directrice générale Fabienne Cabado et les coprésidents du C.A., Lük Fleury et Jamie Wright.

«J'ai tenu mon bout! Ç'a aura pris trois ans, un changement de direction et de présidence avant de recevoir cette lettre d'excuses, dit Mme Désir en entrevue avec La Presse. Est-ce un vent de changement, d'ouverture? Je le souhaite.»

«Il faut arrêter de se regarder le nombril; les enjeux de racisme systémique et d'appropriation culturelle sont présents au Québec. On peut avancer collectivement afin que nos institutions représentent mieux la réalité du milieu culturel et de la société.»

Des changements «profonds»

Jointe par La Presse, Fabienne Cabado (qui a pris la relève de Lorraine Hébert à la direction générale en septembre 2016) affirme que le RQD a cheminé depuis trois ans avec, entre autres, la création d'un «comité inclusion et vivre-ensemble». 

«Nous avons effectué de profonds changements dans notre manière de faire, explique-t-elle. On a aussi tiré profit de plusieurs recommandations de Rhodnie. On a établi une politique d'adhésion pour faciliter l'accès aux nouveaux arrivants et tenir compte de la diversité artistique et culturelle. Les enjeux de racisme systémique, d'exclusion et d'abus de pouvoir font partie de nos priorités.»

Pour sa part, Mme Désir espère que ces changements seront durables. «Il faut agir au-delà de la politique et poser des actions concrètes pour rééquilibrer l'écologie du milieu de la danse, dit-elle. Trop de gens du milieu se réconfortent dans les discours. C'est pourquoi j'ai publié la lettre sur ma page Facebook. Parce que ça concerne aussi un groupe de personnes qui attendaient des excuses. Parce qu'on parle ici d'une communauté. Je ne suis pas un cas isolé.»

Depuis que la lettre du RQD a été publiée, en début de semaine, Fabienne Cabado juge que le débat qui se tient dans les réseaux sociaux est «nécessaire et très sain». Toutefois, si l'on doit en parler pour changer les choses, «il ne faut pas le faire dans une perspective de polarisation et de chasse aux sorcières», souligne-t-elle.

Le terme «chasse aux sorcières» fait sourciller Rhodnie Désir: «Il faut dépersonnaliser le débat autour de l'injustice, de la discrimination et du racisme au Québec, rétorque-t-elle. Un organisme public comme le RQD représente la société. Pas un groupe d'individus.»