Pour le grand public, Benjamin Millepied est le mari de Natalie Portman, qu'il a rencontrée sur le plateau de Black Swan, film pour lequel il était chorégraphe. Mais dans le milieu de la danse, c'est lui la vedette. Après avoir été danseur étoile au réputé New York City Ballet, il a créé sa propre compagnie de danse, L.A. Dance Project, à Los Angeles.

Le Français a aussi occupé le prestigieux poste de directeur de la danse à l'Opéra de Paris de 2014 à 2016, période tumultueuse qui s'est conclue par sa démission. Hier soir, le Festival des arts de Saint-Sauveur avait la chance d'accueillir sa compagnie. La Presse a eu un entretien téléphonique avec l'artiste qui s'apprête à réaliser Carmen au cinéma.

Il y a cinq ans, vous avez fondé votre propre compagnie, L.A. Dance Project. Un de vos danseurs a dit que votre objectif était de reconnecter les gens avec la danse. Êtes-vous d'accord ?

Pas vraiment, je crois qu'il y a plein de gens qui sont connectés avec la danse. Personnellement, ce que j'essaie de faire avec L.A. Dance Project, c'est de créer une organisation qui va durer, même après moi. Sauf que cet objectif est difficile à réaliser, puisque c'est difficile en ce moment pour la culture. Nous sommes aux États-Unis, dans une ville [Los Angeles] où il n'y a jamais eu de compagnie de danse ayant son propre théâtre, avec ses propres saisons. Et nous sommes dans un moment délicat où il y a moins de public pour la danse. Pour arriver à mon objectif, je crois donc que je dois faire un projet artistique qui a du sens dans la réalité d'aujourd'hui.

À ce propos, dans le documentaire Dancing Is Living : Benjamin Millepied, vous expliquez ce que, d'après vous, une organisation artistique devrait faire à notre époque : offrir des expériences fortes, des spectacles immersifs, à un coût raisonnable, et se tenir loin des « théâtres aux allures de temple romain ». C'est à cela que vous faites référence lorsque vous parlez de votre « projet artistique dans la réalité d'aujourd'hui » ?

Oui, nous avons affaire à de nouvelles générations et ce ne sont pas des gens qui vont sortir pour vivre l'expérience d'aller au théâtre. Les envies ne sont pas les mêmes qu'avant, c'est bien différent. Dans les années 50, les théâtres étaient faits pour leur public, pour une autre génération. Aujourd'hui, il faut faire de nouvelles propositions. C'est normal et c'est important de le faire.

Pour ça, il faut danser sur différentes plateformes comme le théâtre, la vidéo ou le cinéma. Même sur les réseaux sociaux en faisant des films en direct. Il faut danser dans des lieux hors du commun. Par exemple, nous avons fait des spectacles dans des lieux où l'architecture était forte, comme la maison de Philip Johnson ou la gare de Los Angeles. Il faut aller vers un public qui ne va pas forcément se déplacer dans des salles de théâtre.

Dans votre lettre de démission comme directeur de la danse à l'Opéra de Paris, vous avez écrit : « Mes fonctions de directeur de la danse occupent une telle place qu'elle réduit considérablement celle, essentielle à mes yeux, de la création et de l'expression artistique. » Plus d'un an plus tard, considérez-vous que vous créez plus et que c'était la bonne décision à prendre pour y arriver ?

[Rires] Ce n'est pas parce que mon travail à l'Opéra n'était pas excitant. Mais la différence, c'est que j'étais vraiment dans mon désir de créer une organisation d'aujourd'hui, avec un projet artistique d'aujourd'hui. Et finalement à l'Opéra, ils étaient très ancrés... ils avaient très envie de garder des formations... comment dire ? En fait, nous n'avions pas la même idée de la tradition. Ce n'est pas la même idée et la même compréhension de la tradition. En regardant le passé de l'histoire de la danse et de l'Opéra de Paris, il y a des choses qui me semblaient importantes... mais je pense que ma vision ne pouvait pas aller à l'encontre de celle de l'Opéra de Paris. De là, ça voulait dire que je n'allais pas pouvoir faire mon projet comme je l'entendais. Et c'est de ça que je parle [dans la lettre], de cette liberté artistique.

Vous privilégiez également les collaborations. Vous aimez vous entourer de compositeurs, musiciens, réalisateurs et artistes peintres. Notamment, vous avez collaboré avec le réalisateur Alejandro Iñárritu et avec Rufus Wainwright. Pourquoi aimez-vous autant les collaborations ?

Tout d'abord, le but est de travailler avec des artistes de qualité. À partir du moment où nous allons travailler au cinéma ou avec un compositeur, je sollicite des gens qui - pour moi - ont une force artistique. Et, comme je vous disais, je crois que de la musique d'aujourd'hui va susciter un certain intérêt. Par exemple, quand nous avons travaillé avec Rufus, on a attiré un public qui est venu entendre Rufus chanter.

Vous avez une dizaine de danseurs dans votre troupe et ils sont tous bien différents. Il y en a qui sont plus classiques, d'autres, plus modernes. C'est exact ?

En fait, je dirais que mon travail nécessite surtout une base classique, mais avec un travail du sol et de l'espace qui se rapproche davantage de la danse contemporaine que de la danse classique.

En 2018, vous allez porter au grand écran l'opéra Carmen à titre de réalisateur. Pourquoi avez-vous envie de réaliser un long métrage et cette histoire en particulier ?

Ça fait des années que je pense que je vais un jour réaliser. Le tout s'est donc fait de manière organique. Et Carmen, c'est un opéra avec lequel j'ai grandi, j'aime beaucoup les tragédies classiques. Je trouve qu'il y a de bonnes raisons, des raisons fortes, dans cette histoire qui poussent les gens à danser et à chanter, et je pense que ça va bien fonctionner dans une adaptation à l'écran.

Et vous allez toucher de plus en plus au cinéma, vous croyez ?

Je crois que je vais rester entre le cinéma et la danse. La danse et l'image, j'aime ça. Et après Carmen, je continuerai à faire des films. Bien sûr.

PHOTO FRANÇOIS GUILLOT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le chorégraphe et danseur Benjamin Millepied a créé, il y a cinq ans, sa propre compagnie de danse, L.A. Dance Project, à Los Angeles.