Icône du flamenco contemporain, María Pagés sera de retour sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier dès jeudi avec Yo, Carmen, une création à travers laquelle elle a voulu redonner une voix au personnage de Prosper Mérimée, mais surtout à la femme avec un grand «F». Coup d'oeil sur le style unique de l'interprète et chorégraphe andalouse.

Flamenco féministe

L'art est le reflet de l'époque dans laquelle on vit. C'est le constat que fait d'emblée María Pagés quand on lui parle de la place de la femme dans le flamenco aujourd'hui.

«Le flamenco a longtemps été un art très machiste, tout comme la société du sud de l'Espagne! J'en ai été victime dans le flamenco comme à la banque ! Mais la femme a toujours été très forte, même si c'était au second plan. Aujourd'hui, elle a un rôle plus important dans ces deux sphères», observe-t-elle.

Déterminée à en finir avec la belle gitane séductrice, manipulatrice, dangereuse et envoûtante imaginée par Mérimée et Bizet, María Pagés a choisi, dans Yo, Carmen, d'être accompagnée sur scène par sept interprètes féminines et deux chanteuses pour offrir un hymne à la féminité, à la femme plurielle, libérée du joug des hommes.

«Je devais arriver dans la cinquantaine pour comprendre ce qu'est vraiment une femme. Toute ma vie, je me suis engagée à protéger le flamenco, à dire que ce n'est pas un art cliché, mais un grand art en évolution. Il y a un parallèle à faire avec Carmen. La femme n'est pas Carmen, elle n'est pas ce personnage inventé par les hommes: une femme que tu peux soumettre et même tuer si elle ne t'aime pas», lance-t-elle.

«Je comprends le féminisme comme quelque chose qui appartient autant aux hommes qu'aux femmes. C'est une idéologie qui a la prétention d'arriver à l'égalité homme-femme. Et quand hommes et femmes dansent le flamenco sur scène, il n'y a plus de différence entre les sexes.»

Poésie dansée

Tout comme pour Autorretrato, sa création précédente présentée à Montréal en 2013, María Pagés a donné une grande place à la poésie et à la littérature dans Yo, Carmen. «Le chant flamenco est de la poésie populaire chantée, très forte en émotion. Comme je voulais donner une voix à la femme, je me suis mise à lire des oeuvres de poètes et d'auteurs féminins d'un peu partout dans le monde qui partagent les mêmes inquiétudes et le même message autour de la place de la femme», explique María Pagés, qui a ainsi retenu des oeuvres comme Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar, le poème The Moment de Margaret Atwood, ou encore des poèmes de la Japonaise Akiko Yosano.

«J'ai aussi retenu des extraits de María Zambrano, une poète espagnole très impliquée dans l'obtention du droit de vote pour les femmes en Espagne», ajoute la chorégraphe.

«Il y a toujours un message dans le flamenco, très proche des interrogations qu'on trouve dans la société. C'est une danse populaire où l'on peut parler de lutte des classes sociales ou de la place de la femme. C'est important pour moi de faire avancer la société avec mon art.»

Un art en évolution

La singularité du style de María Pagés réside avant tout dans le fait qu'elle a su y apporter un vocabulaire résolument moderne mais fermement ancré dans la tradition depuis qu'elle a fondé la María Pagés Compañía, en 1990. «J'ai toujours cru que le flamenco est un art moderne avec un potentiel d'évolution énorme», dit-elle.

Oubliez donc l'idée de voir débouler sur scène des danseuses portant des robes à pois et d'autres clichés liés au flamenco. Pour le directeur artistique de Danse Danse, Pierre Des Marais, l'audace de María Pagés se retrouve également dans la musique sur laquelle elle chorégraphie ses oeuvres.

«Elle est toujours accompagnée de musiciens exceptionnels qui n'ont pas peur de glisser vers d'autres formes de musique, comme dans Yo, Carmen, où ils interprètent des classiques de Bizet en version flamenco. María n'a pas eu peur et n'a jamais cessé d'expérimenter, d'intégrer d'autres styles à ses pièces», conclut-il.

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À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts du 29 septembre au 1er octobre, dans le cadre de Danse Danse.