Trois ans après y avoir présenté So Blue, Louise Lecavalier est de retour au Festival TransAmériques avec Mille batailles, sa toute nouvelle création. Entrevue avec la légendaire chorégraphe et interprète.

Quand on entre dans le studio blanc immaculé de Louise Lecavalier, on a l'étrange impression de pénétrer dans un temple. Il faut dire que la danseuse et chorégraphe passe la plupart de son temps à y répéter religieusement. Tel un rituel, elle enchaîne, modifie et expérimente les pas pour tendre toujours un peu plus vers la perfection.

Louise Lecavalier le revendique : elle trouve son plaisir dans l'exigence.

« On dirait que plus le temps passe, plus je vais loin là-dedans. Je ne rentre pas en studio en me disant que je dois être exigeante. C'est un plaisir que j'ai dans le mouvement à pousser plus loin, hors de ma zone de confort. De toute façon, elle n'existe pas ! », lance-t-elle dans un éclat de rire.

ANGOISSÉE PAR LE CONFORT

Entre confort et inconfort, l'interprète qui a fait ses premières armes en tant que muse d'Édouard Lock repousse toujours plus loin les limites de son art.

Une manière de travailler qu'elle a développée au sein de la compagnie La La La Human Steps et qu'elle n'a depuis eu de cesse de perpétuer.

« Ce n'est pas sado-maso ! », assure-t-elle. « Pour moi, rien n'est facile. Il y a des danseurs qui peuvent lever les jambes aux oreilles ou sauter facilement. Moi, je n'ai aucun de ces atouts. Mais j'ai pris plaisir à travailler dans le difficile. Le confort m'angoisse ! »

Après avoir quitté Édouard Lock pour voler de ses propres ailes il y a un peu plus de 16 ans, Louise Lecavalier a dansé pour de nombreux chorégraphes, de Benoît Lachambre à Tedd Robinson ou Crystal Pite, pour finalement fonder Fou Glorieux, sa propre compagnie.

L'artiste a signé elle-même la chorégraphie de So Blue en 2012 et n'a pas hésité, pour sa toute nouvelle création, à jeter une fois de plus son corps dans la bataille et à investir la scène comme elle le ferait sur un ring.

Pour ce faire, elle a choisi de créer différemment et de se détacher de son enveloppe corporelle pour mieux combattre son propre corps.

« Je suis partie de rien. Mais rapidement, je me suis aperçu que je ne voulais pas retomber dans le scénario de So Blue. J'ai changé de perspective en créant cette fois face au miroir, en me filmant. Cette manière de faire a déclenché quelque chose et m'a permis de travailler différemment », explique la chorégraphe.

LE CHEVALIER ET SON DOUBLE

Observatrice de sa propre création, Louise Lecavalier a fait le parallèle avec le Chevalier inexistant, personnage du roman du même nom de l'auteur italien Italo Calvino, une satire du culte rendu à un chevalier qui n'existe même pas, mais qui finit par voir le jour par la seule puissance de sa volonté.

« Je n'avais pas seulement un point de vue intérieur, mais aussi extérieur. Le jour, j'étais la danseuse qui improvise. Le soir, les choses qui ne me paraissaient pas intéressantes un peu plus tôt le devenaient, et vice versa.  »

« C'est comme s'il y avait un dédoublement et c'est à ce moment-là que l'idée du personnage m'est apparue. Je suis partie de lui qui n'existe pas, qui est froid et métallique, juste pensée. J'avais envie qu'il s'humanise », dit Louise Lecavalier.

Après six mois à travailler seule en studio, Louise Lecavalier a fait appel à Robert Abubo, danseur avec qui elle avait travaillé sur une pièce de Tedd Robinson, pour la rejoindre dans Mille batailles.

« J'ai cru pendant un moment que ce serait un solo. Mais j'ai pensé à cet autre personnage du livre, Gourdoulou, qui est un peu le Vendredi de Robinson Crusoé ou le Sancho Panza de Don Quichotte. J'avais envie d'un double, d'un antihéros aux côtés du chevalier », précise-t-elle.

Pour la musique, Louise Lecavalier a pu compter sur le compositeur et musicien/DJ montréalais Antoine Berthiaume qui lui a concocté des rythmes afro-funk électroniques, des riffs de guitare, mais aussi de la house et de la techno afin de l'accompagner en direct sur scène.

PRÉPARER SON CORPS

Si la plupart des pièces de Louise Lecavalier demandent endurance et préparation physique, Mille batailles semble surpasser en la matière tous les spectacles précédents.

« La pièce est épuisante, alors on va seulement la répéter à temps plein une semaine avant la première au FTA », révèle-t-elle. « Cet après-midi, j'ai dansé So Blue et j'ai expérimenté d'autres choses avec un autre danseur. Mais je ne voulais pas répéter Mille batailles, car elle use. Je perds des kilos à la danser ! »

Un défi que la danseuse se fait un plaisir de relever au quotidien en entretenant son corps et son esprit.

« La préparation est continuelle. Il y a eu des périodes où je prenais des cours de danse contemporaine, d'autres où je faisais du classique pour rattraper ce que je pensais avoir manqué ! Puis, à cause de mon problème de hanche, j'ai fait de la boxe. Après mon opération, je suis passée au yoga. Je continue à en faire depuis comme entraînement, préparation mentale et relaxation », explique Louise Lecavalier, dont l'emploi du temps semble accaparé par la danse.

« J'ai beau être insomniaque, je m'allonge pareil ! J'aime lire et ne rien faire. J'ai d'autres choses dans la vie [que la danse], dont mes enfants et l'écriture. Mais je ne reste jamais longtemps à rien faire. Quand je rentre en studio, c'est toujours au maximum de moi-même », assure l'interprète.

Serait-il envisageable pour elle de chorégraphier un jour une pièce sans y danser ? « Je ne me vois pas dans ce rôle. Je n'aime pas diriger quelqu'un. Ça doit être un dialogue. Je n'aime pas être assise sur une chaise très longtemps non plus. La création passe encore à travers mon corps. »

Au Monument-National du 31 mai au 2 juin dans le cadre du Festival TransAmériques.