Les danseurs de la São Paulo Companhia de Dança monteront ce soir sur la scène du Théâtre Maisonneuve pour présenter un programme en trois temps illustrant toute leur polyvalence. Au menu, trois créations: Mamihlapinatapai de Jomar Mesquita, Gnawa de Nacho Duato et The Seasons d'Édouard Lock. Entrevue avec le chorégraphe montréalais qui a collaboré avec la compagnie brésilienne en 2014 pour créer cette pièce de 50 minutes pour 12 danseurs sur Les quatre saisons de Vivaldi.

Pourquoi avoir choisi de revisiter Les quatre saisons de Vivaldi dans The Seasons?

Même s'ils ne se sont jamais assis pour faire une écoute pointue, les gens ont tous un souvenir lié à cette oeuvre de Vivaldi. Le compositeur Gavin Bryars et moi-même avions déjà revisité Le lac des cygnes et La Belle au bois dormant, puis Didon et Énée et Orphée et Eurydice. On s'est dit qu'il serait intéressant de déconstruire des mélodies qui sont des symboles, qui évoquent des souvenirs personnels aux spectateurs. Surtout qu'il y a déjà eu toutes sortes de créations autour de ces oeuvres en danse et en musique. Le spectacle devient une perception individuelle et non collective. Il y a une sorte de distorsion, un vent qui souffle dans la salle; cela fait en sorte que le dialogue qui s'effectue autour de la pièce sera reconstruit par le public par rapport au propos qui est amené. Cela donne une multiplicité de points de vue.

Comment avez-vous procédé pour créer The Seasons?

Mon travail chorégraphique est toujours fait en silence, sans l'apport de la musique du compositeur ni le point de vue du sculpteur-peintre Armand Vaillancourt, qui s'est chargé de la scénographie. Chacun a créé de son côté. L'idée est qu'il y ait aussi sur scène une multiplicité de points de vue: celui des danseurs, de la musique et de la lumière.

Votre compagnie a fermé ses portes l'automne dernier. À quoi ressemble l'après-La La La Human Steps d'Édouard Lock?

Je suis en discussions pour plusieurs options. Mais je ne cours pas après les projets. Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question de façon réfléchie. Quand la compagnie a cessé son travail, une des choses que j'ai dites, c'est que le but d'une compagnie n'est pas la survie. C'est un but de création avant tout. L'année où la compagnie a commencé à avoir des problèmes est aussi celle où j'ai eu le plus de projets ! Ce n'était pas une situation où je me demandais si je pouvais créer: je le faisais plus que jamais dans ma vie. Le travail d'une compagnie est de faciliter et de permettre la création. Si le travail au sein de la compagnie est compromis parce qu'il y a trop de problèmes à régler, ce n'est pas une bonne chose. Ç'a été ma première inquiétude.

Vous êtes actuellement en France. Comptez-vous revenir vivre à Montréal?

J'habite à Paris depuis décembre et je suis en discussions avec des compagnies françaises pour de nouveaux projets. Mais c'est temporaire. Je suis Montréalais et c'est Montréal que j'aime. Ma compagnie a existé pendant 35 ans et ma carrière à Montréal se poursuit depuis 42 ans. J'y ai beaucoup d'amis, et une grande partie du travail de ma compagnie a été inspiré des rues de Montréal et de ses habitants. L'identité de la ville a engendré toute une série de spectacles et de directions chorégraphiques. Alors il est certain que je reviendrai.

Comment s'est déroulée votre collaboration avec le Ballet de l'Opéra de Paris l'automne dernier?

Nous étions trois chorégraphes. Le travail de mise en scène a été entièrement assuré par Dmitri Tcherniakov, le réalisateur russe qui a eu l'idée de mettre Iolanta et Casse-Noisette ensemble pour en faire une seule production. Il s'agit de deux oeuvres que Tchaïkovski avait faites la même année et qui pouvaient en effet avoir une interaction. Contrairement à mon habitude, je n'avais rien à faire au niveau des éclairages, de la musique, etc. J'ai seulement fait mon travail chorégraphique, ce qui a pu être frustrant à certains moments. Mais, en même temps, c'était intéressant comme expérience.

Avez-vous trouvé les critiques français injustes à votre égard (voir paragraphe à la fin)?

Je ne les ai pas lus.

Ils n'ont pas été très tendres...

C'est possible. Il y a eu des critiques que j'ai lues qui étaient peu tendres avec l'ensemble du travail chorégraphique. Ce n'est pas la raison pour laquelle on fait les choses. Bien des gens font des associations en voyant Casse-Noisette, et ça allait loin des versions plus traditionnelles de l'oeuvre. Ma critique à moi, assis dans la salle : le spectacle a été formidable. Le lyrique a été lié au ballet avec brio. Les danseurs de l'Opéra étaient merveilleux à voir. Le travail des chorégraphes a été impressionnant. Un spectacle complexe de près de cinq heures.

LOCK HUÉ ET APPLAUDI À PARIS

PARIS - La scène détonnait dans le sublime Opéra Garnier, tout en dorures et en bronzes: des danseurs déguisés en astronautes soviétiques, d'autres insérés dans des costumes de poupée surdimensionnés. Des policiers chinois à moustache, des pingouins dodus.

Des gestes à la limite de la caricature, en contraste marqué avec la célébrissime partition de Tchaïkovski.

Huées et applaudissements à la fin de ce sixième tableau, Divertissement, chorégraphié par Édouard Lock.

Le créateur québécois et deux acolytes ont secoué les puces de Casse-Noisette, l'hiver dernier à Paris, et le public local s'est divisé devant la proposition.

À leur image, Bertrand, assis au premier rang, était très dubitatif à l'entracte: «J'aime beaucoup Édouard Lock», a-t-il expliqué à La Presse. Mais cette fois, «je n'ai pas compris», a-t-il tranché, en évoquant des «crispations maladives». Il venait d'assister au premier acte du ballet. Dans le second acte, très sombre et imprégné de colère, Lock fait s'agiter ses danseurs dans une urgence surprenante. Les mains pointées, ils communiquent par saccades violentes. À la fin du spectacle, Bertrand a changé d'avis. Il a aimé. Quelques huées dans la salle au rideau final, mais les applaudissements les ont enterrés facilement. La presse française, elle, n'a pas beaucoup apprécié. «Ratage monumental» avec un personnage principal transformé en «malade mentale» par Lock, dira L'Obs. Pour Télérama, «ça ne casse pas des briques». Libération a mieux aimé, mais souligne tout de même la chorégraphie saccadée de Lock «qui brise les nerfs des plus patients». - Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le chorégraphe Édouard Lock