Depuis les temps anciens où l'homme battait le sol de ses pieds, danse et musique vont de pair. Certaines des plus grandes pièces du répertoire ont été écrites pour être dansées, comme le Sacre du printemps de Stravinski. S'il n'est pas rare de voir des musiciens accompagner les danseurs sur scène, trois spectacles de danse présentés ce printemps poussent la note plus loin avec des propositions qui touchent au grandiose.

Ce printemps, la danse et la musique jouée en direct s'allient sur les scènes québécoises avec des spectacles qui promettent de ravir les amateurs des deux disciplines artistiques.

Dès ce soir, Marie Chouinard reprend deux pièces-clés de son répertoire à la Place des Arts, Prélude à l'après-midi d'un faune et Le Sacre du printemps, sur les musiques éponymes de Debussy et Stravinski.

Un événement unique puisque les danseurs seront accompagnés en direct par les 92 musiciens âgés de 13 à 25 ans de l'Orchestre symphonique des jeunes de Montréal, sous la direction du chef d'orchestre Louis Lavigueur.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la chorégraphe présente ces oeuvres avec un orchestre symphonique. Un an après sa création, en 1994, Le Sacre du printemps - qui est devenu depuis un classique de la compagnie - avait été accompagné par l'Orchestre symphonique de Taipei, à Taiwan. À Montréal, la pièce sera dansée exceptionnellement par 13 danseurs.

C'est aussi à cette occasion que la chorégraphe avait accepté, à la demande du Festival international de Taipei, de danser son solo L'après-midi d'un faune - dont la trame musicale était alors composée de sons activés grâce à des déclencheurs attachés à son corps - sur la musique de Debussy. Cette nouvelle version, un solo intitulé Prélude à l'après-midi d'un faune, sera interprété par l'occasion par Carol Prieur, qui a célébré récemment ses 20 ans au sein de la compagnie.

La version avec orchestre change la configuration même de l'espace scénique, puisque Mme Chouinard place les musiciens sur scène, derrière les danseurs.

«Ça change tout l'environnement visuel. Et entendre de la musique live, c'est comme voir de la danse live plutôt qu'à la télévision: c'est une expérience plus organique, plus près des sensations.»

Ce type de projet pose bien sûr un défi supplémentaire autant aux danseurs qu'aux musiciens afin que mouvements chorégraphiques et musicaux correspondent, comme en témoigne M. Lavigueur, dont il s'agit de la première expérience avec une troupe de danse.

«Il est certain que le fait que l'orchestre doive se coordonner avec les mouvements des danseurs donne une fenêtre de liberté plus étroite aux musiciens. Mais c'est ainsi qu'on faisait autrefois!», souligne le chef d'orchestre, qui dit être emballé par cette collaboration interdisciplinaire, tout comme les jeunes musiciens, qui répètent depuis janvier ce nouveau répertoire.

«Ce sont deux grandes oeuvres qui font prendre conscience de tout le bouleversement musical qui a eu lieu au début du XXe siècle, dit le chef. Debussy se démarquait de la musique romantique de l'époque, avec un langage complètement nouveau, alors que Stravinski jette à terre tout l'édifice de la musique du XIXe siècle.»

Une première à la Maison symphonique

C'est aussi tout un défi qu'a accepté de relever la chorégraphe Danièle Desnoyers, qui travaille actuellement à la création de sa pièce Anatomie d'un souffle, qui sera présentée pour deux soirs seulement à la Maison symphonique de Montréal en mai - une première pour l'institution.

Ici, six danseurs de la compagnie Carré des Lombes - ainsi qu'un «choeur» de danseurs qui aura comme fonction d'appuyer l'action en dirigeant le regard du spectateur - seront accompagnés d'un seul instrument, magistral : l'orgue Pierre-Béique.

Ce concert unique est organisé dans le cadre de l'année-hommage au compositeur John Rea, auquel l'OSM a commandé une oeuvre pour orgue, Libera Me, qui se décline en trois mouvements. Le répertoire du programme est complété par des oeuvres pour orgue d'Olivier Messiaen, William Byrd et Raffaele Manari, entre autres, et sera interprété par l'organiste en résidence Jean-Willy Kunz.

Habituée de travailler avec la musique live - on l'a vue intégrer un quatuor à corde, du piano ou de la harpe à ses créations -, Mme Desnoyers dit avoir été «surprise» par l'instrument, qui a attisé sa curiosité et dont elle connaissait peu le répertoire.

«La première fois que j'ai rencontré M. Kunz à la Maison symphonique, le premier geste qu'il a fait, c'est d'ouvrir les mécanismes de l'orgue. Et l'instrument s'est empli d'un souffle ! C'était pour moi un son d'une grande beauté. Anatomie d'un souffle, c'est pour comprendre comment ce souffle devient musique.»

«Les corps sont faits de souffle, tout comme la musique provient du souffle de l'instrument.»

Le ballet des rencontres

La rencontre se fait entre deux disciplines artistiques qui ont des racines communes anciennes. «La musique et la danse ont une filiation depuis l'Antiquité. La danse baroque était aussi absolument liée à la musique; les mouvements et pas des danseurs étaient liés aux respirations des musiciens», relate Jean-Willy Krunz, qui espère que le concert donnera lieu à des interactions spontanées entre musique et danse, entre lui-même et les danseurs.

À cet égard, John Rea a été particulièrement sensible à la rencontre des deux disciplines, explique l'organiste: «Son deuxième mouvement incorpore des gestuelles rythmiques frappées de la part des danseurs, c'est écrit à même la partition. Et l'oeuvre de Manari que je vais interpréter est principalement composée pour les pédaliers. C'est comme si l'organiste dansait sur les pédaliers de l'orgue, donc ça sera à mon tour de danser! Il y a vraiment une interpénétration de la danse et de la musique, on décloisonne complètement.»

Du côté de Danièle Desnoyers, son approche chorégraphique se déploie sous le concept de résonance. «Il y a un phénomène de résonance, de friction qui se produit à l'écoute d'une oeuvre. Je ne cherche pas à épouser les oeuvres comme telles, mais plutôt à créer une rencontre avec le corps des interprètes, des rencontres parfois inusitées, voire improbables. Ultimement, ce que je cherche, c'est de faire en sorte qu'on écoute la musique autrement.»

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Prélude à l'après-midi d'un faune et Le Sacre du printemps, de la Compagnie Marie Chouinard et l'OSJM, au Théâtre Maisonneuve jusqu'au 2 avril, dans le cadre de Danse Danse

Anatomie d'un souffle, du Carré des Lombes et de l'OSM, à la Maison symphonique les 6 et 7 mai, dans le cadre de Danse Danse

PHOTO FOURNIE PAR LE CARRÉ DES LOMBES

Danièle Desnoyers travaille actuellement à la création de sa pièce Anatomie d'un souffle, qui sera présentée pour deux soirs seulement à la Maison symphonique de Montréal en mai.