Bien des semaines avant la première de Vollmond de Pina Bausch, mercredi soir, le spectacle affichait déjà complet au Théâtre Maisonneuve. Sans surprise, la pièce de la regrettée chorégraphe a reçu un accueil triomphal du public. Il faut dire que le Tanztheater Wuppertal n'était pas venu à Montréal depuis 30 ans.

Or, malgré des images fortes, crépusculaires, ainsi que de (trop) rares moments de danse d'une grande beauté, Vollmond (Pleine Lune) n'est pas la meilleure oeuvre de la prêtresse de la danse-théâtre. Huit ans après sa création, ce spectacle mérite-t-il un tel enthousiasme? Sauf le respect qu'on doit à la grande dame de la danse contemporaine, morte en juin 2009, la pièce de deux heures et demie distille plus l'ennui que l'émotion.

Vollmond n'est pas sans longueurs. Cela prend pas mal de temps avant que les 12 danseurs commencent à... danser! Il y a trop de saynètes à l'humour facile et de clins d'oeil inutiles au public.

Dans certains tableaux non dansés, on devine le travail né d'improvisations en ateliers; Bausch avait l'habitude de créer en questionnant ses danseurs afin de construire des fragments d'histoires individuelles. On verra, par exemple, Nayoung Kim (qui a remplacé mercredi Helena Pikon, interprète fétiche de Bausch) s'enduire le corps de citron avant de lancer «qu'elle est un peu amère», pour ensuite se mettre à pleurer en hurlant. Une autre interprète se lance dans un fou rire démoniaque en se tapant frénétiquement le torse avec ses deux mains. Un homme enfile maladroitement la brassière à une danseuse; cinq fois plutôt qu'une!

Eau secours

La distribution se déplace dans le magnifique décor minéral signé Peter Pabst: un gros rocher qui ressemble à un météorite, une mare et des trombes d'eau qui tombent régulièrement des cintres. Ainsi, la scène, baignée par les éclairages poétiques, est propice à de fabuleuses images.

Hélas! les danseurs (les hommes, pieds nus, vêtus de chemises et pantalons gris; les femmes, aux belles et longues chevelures, portant des robes du soir colorées et des talons aiguilles) se mouillent davantage avec ce liquide récurrent chez Bausch qu'ils ne plongent dans leur art. Pourtant, ces interprètes de tous les âges - représentant un beau mélange de cultures et de talents - savent danser comme des maîtres. En témoigne le solo de Dominique Mercy qui, à 60 ans, évoque en pas et en gestes la solitude d'une vie privée de désir.

En déséquilibre

Dans la lignée des thèmes explorés par Bausch, Vollmond aborde la guerre des sexes, la difficulté de vivre ensemble. Le spectacle expose les jeux de l'amour et du hasard, un monde de baisers volés et d'étreintes brisées. Une humanité en déséquilibre qui se noie dans sa condition humaine; et qui surmonte, tel Sisyphe, le rocher de son innocence perdue.

Alors, la répétition du geste et du motif, l'une des signatures de Bausch depuis Café Müller (dont on peut voir un extrait dans Parle avec elle d'Almodóvar), devient ici une métaphore de la dérive des sentiments. Qu'est-ce qui nous attire ou nous repousse les uns des autres? Telle est la question de notre éternelle quête d'équilibre qui se brise dans l'infinie réalité des choses.

C'est pour cela qu'on aime et applaudit, par-delà la mort, la chorégraphe allemande. Même si elle flirte avec l'autocitation dans ses dernières oeuvres. Même si vers la fin de sa route, comme l'écrivait le journal Le Monde en 2007, Bausch semblait tirer sur «les mêmes ficelles spectaculaires sans en mesurer l'usure».

Cette impression nous habite aussi à la sortie de Vollmond. Malgré cela, on reste attiré par l'oeuvre de Pina. Et l'on souhaite à ses orphelins de trouver un nouvel élan pour la suite de la compagnie.

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Au Théâtre Maisonneuve jusqu'au 15 novembre (à guichets fermés).