Paul-André Fortier a créé plus d'une cinquantaine d'oeuvres au cours de sa carrière, dont Solo 30X30, Cabane et Bras de plomb. Le vétéran est de retour au Festival TransAmériques avec sa plus récente création, Misfit Blues. Il y pose un regard à la fois tendre, burlesque et déjanté sur un couple vieillissant. Cinq questions au danseur et chorégraphe de 66 ans qui ne semble pas près de tirer sa révérence.

À quoi fait référence le titre de votre création, Misfit Blues?

Au film The Misfits (Les désaxés) de John Huston, avec Marilyn Monroe. On y voit un couple un peu déjanté qui passe par toute une gamme d'émotions: ils sont à la fois tendres, généreux, mais aussi cruels et durs l'un envers l'autre. Dans la pièce, il y a aussi cette espèce de blues, une histoire qui se répète. Le couple, ce n'est jamais fini; ça recommence toujours.

Ce duo avec la performeuse et danseuse Robin Poitras vous montre sous un jour nouveau. En quoi sortez-vous de votre zone de confort?

J'ai créé un solo pour Robin il y a quelques années. Lorsqu'on travaille en studio ensemble, il n'y a plus de retenue: on s'amuse sans poser de question, on plonge sans se censurer, laissant de côté tous nos tabous. Dans la pièce, il y a trois scènes de bouffonnerie où on se laisse aller dans des moments d'absurdité assez délirants - on parle même dans une langue inventée! Bref, je me lâche plus «lousse» et ça fait énormément de bien. Je suis à cette étape de ma carrière où je me sens beaucoup plus libre qu'avant. Cette porte ouverte sur la liberté me fascine.

La multidisciplinarité occupe une place prépondérante dans votre démarche artistique. Cette fois, vous travaillez avec le plasticien Edward Poitras. Quel est son apport à Misfit Blues?

Pour mes collaborations, je choisis des gens qui me donnent envie de me rapprocher de leur travail. L'univers d'Ed - un mélange de culture amérindienne et de notre culture - me fascine. C'est un plasticien d'une grande force, qui me pousse à aller plus loin. Pour le spectacle, il a créé tout un environnement scénique, une installation où nous inscrivons notre parcours chorégraphique. Tout le spectacle se déroule à travers les yeux d'un coyote qui nous regarde.

En vieillissant, en quoi votre approche de la danse et du mouvement a-t-elle changé? Le corps est-il pour vous une cage à apprivoiser ou un espace ouvert à explorer?

La danse a beaucoup été faite pour des corps très jeunes, mais on est en train de trouver des manières de mettre en scène le corps vieillissant du danseur, un corps qui est chargé de poésie et d'expérience. Comme je crée mes propres chorégraphies, je fonctionne avec l'instrument que j'ai, ses limites et capacités. Je crois que le corps vieillissant s'exprime peut-être d'une façon moins technique, mais plus libre, où peut se deviner toute son histoire.

En près de 40 ans de carrière, vous avez été un témoin privilégié de l'évolution de la scène montréalaise en danse. Quel regard posez-vous sur son état actuel?

Sur le plan de la création, la danse a très bien évolué à Montréal. C'est en partie grâce à des événements comme l'ancien Festival international de la danse et le FTA. Le fait de recevoir des spectacles de haut niveau de l'étranger avec leur manière de présenter la danse et de la penser est très stimulant et nous a motivés à être meilleurs. Mais il faut absolument que la création contemporaine soit soutenue et nourrie. C'est notre responsabilité collective et politique de l'exiger et de le demander. Car la culture est le poumon d'une société.

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À l'Agora de la danse, samedi soir, de même que le 1er et le 2 juin.

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Le chorégraphe et danseur Paul-André Fortier.