Artiste en résidence à l'Agora de la danse, la chorégraphe Estelle Clareton signe avec S'amouracher une nouvelle création, à mi-chemin entre la furie du geste et le théâtre du corps. Une pièce qui tente d'exprimer l'incommensurable espace entre l'amour et le manque.

Après S'envoler, sa pièce précédente autour du thème de l'identité, voire des identités (culturelle, géographique, artistique, etc.), Estelle Clareton propose un nouvel opus, un quatuor pour quatre interprètes intitulé S'amouracher. Elle y interroge le choc amoureux à travers la rencontre de l'autre. Et son revers: la séparation.

«Dans le verbe s'amouracher, deux forces s'opposent. Il y a le fait de tomber amoureux, puis l'arrachement qui arrive soudainement. Cet antagonisme dans l'union de deux êtres est au coeur de la pièce», explique Estelle Clareton, en entrevue à La Presse, dans les coulisses de l'Agora de la danse, où S'amouracher est présentée dès ce soir et jusqu'à samedi.

La chorégraphe avait envie de montrer le revers du sentiment amoureux. Au départ, elle s'est inspirée de deux textes marquants: Fragments d'un discours amoureux, de Roland Barthes, et Roméo et Juliette. «Chaque fois que je relis les monologues de ce classique de Shakespeare, je fonds! Il y a un lyrisme, une passion, un feu qui traversent cette histoire; elle me fait encore rêver au prince charmant, à 44 ans! [rires]

«Or, je peux aussi lire Barthes, poursuit-elle, qui est totalement à l'opposé de Roméo et Juliette! Et adhérer à sa pensée très rationnelle sur la rencontre amoureuse et le désordre amoureux.»

Un coeur qui balance

Comme plusieurs d'entre nous, Estelle Clareton oscille donc entre sentiment raisonnable et sentiment déraisonnable. Elle collabore avec deux acteurs (Christophe Rapin et Louiza Bentoumi) et deux danseurs (Brice Noeser et Esther Rousseau-Morin).

À l'avant-scène, c'est l'«amour», à travers la gestuelle des danseurs, qui est comme de multiples tentatives de rencontres, de rapprochements. À l'arrière-scène, par-delà le voile d'un rideau transparent, c'est l'«arracher», avec le couple d'acteurs qui interprètent son «ballet du quotidien». «Mais les deux duos sont interdépendants», note Clareton.

La rencontre de l'autre, la difficulté d'être ensemble, l'espace entre les amants, la distance à combler, le vide et la fusion... Toutes ces questions font partie de S'amouracher, une sorte de condensé des expériences, des doutes et des espérances amoureuses de la chorégraphe, chef de famille monoparentale: «Je suis toujours à la recherche de sens, dit-elle, dans l'art comme dans la vie. Je ne suis pas dans la forme ni dans l'abstraction. Dans mes pièces, il y a toujours un désir de communiquer des sensations, d'exprimer l'innommable, le mystérieux.»

D'Avignon à Québec

Artiste à la personnalité «tentaculaire et multiple», Estelle Clareton a toujours été fascinée par le langage du corps. À 17 ans, elle arrive au Québec de son Avignon natal, grâce à un coup de coeur pour une famille d'artistes québécois (les actrices Julie et Isabelle Vincent, avec leur frère, le peintre François Vincent). Après un passage frustrant aux Ballets jazz de Montréal, la jeune interprète s'installe à Québec et travaille pour la compagnie de répertoire Danse Partout.

Longtemps, Estelle Clareton sera l'interprète des autres. Mais pas de n'importe quels chorégraphes: les Ginette Laurin, Jean-Pierre Perreault, José Navas. Avant de se lancer, «par hasard», dans l'écriture chorégraphique en 1995, puis de fonder sa compagnie en 2001.

Aujourd'hui, la chorégraphe refuse de choisir entre la danse, le théâtre, le jeu ou même le cirque: «J'élabore plutôt un univers où le dialogue entre les médiums est possible et complémentaire, dit-elle. Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours jonglé avec la théâtralité et les disciplines.»

Elle se donne ainsi une grande et belle liberté. «J'accepte désormais d'être continuellement dans le mouvement de la vie.» Quoi de mieux, pour une danseuse, que d'accepter le mouvement perpétuel des choses!

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S'amouracher, du 30 avril au 3 mai, à l'Agora de la danse.