Avec leur nouvelle pièce créée à Lyon, les Via Katlehong mettent leur danse née dans les townships sud-africains au service d'un hommage à Sophiatown, quartier emblématique de Johannesburg anéanti par l'apartheid.

La troupe sud-africaine, née en 1992 et révélée en Afrique, en Europe et aux États-Unis par ses trois précédentes pièces, entame une tournée française d'une vingtaine de représentations. De nouvelles dates devraient s'y ajouter en 2014.

Sophiatown, acclamée cette semaine à la Maison de la Danse de Lyon par des spectateurs souvent jeunes, est une époustouflante démonstration de «pantsula», danse des ghettos chaloupée et rapide mâtinée de claquettes et de percussions corporelles.

À l'instar du hip hop, né dans les rues du Bronx, «la pantsula est plus qu'une danse: c'est un style de vie», à la fois ludique et contestataire, explique à l'AFP Vusi Mdoyi, 33 ans, l'un des fondateurs de la compagnie.

Les six interprètes, renforcés pour la première fois par trois danseuses, mêlent leur gestuelle ultra-véloce, inspirée de la tap-dance et de la danse zouloue, aux pas du «gumboot», danse de mineurs à base de frappes des mains sur les cuisses et les mollets.

Réjouissante et énergique, leur danse se fait nostalgique puis contestataire quand elle évoque Sophiatown, township emblématique de Johannesburg où Noirs, Métis, Indiens et Chinois voisinaient dans les années 1950.

Sur un air de saxophone langoureux, les Via Katlehong recréent une soirée dans les «shebeens», clubs clandestins où l'on discute, boit, plaisante et flirte, dans une cohabitation paisible entre hommes et femmes.

«Sophiatown est pour nous un symbole, c'était la seule ville où les gens vivaient ensemble. On espère qu'un jour, on pourra retrouver un endroit comme celui-ci», confie la chanteuse et comédienne Nomathamsanqa Baba.



Effervescence


Mais le drame guette le quartier, trop proche des banlieues blanches au goût des leaders de l'apartheid. Corps raidi, sifflet vindicatif, les danseurs se font manifestants et protestent contre leur expulsion annoncée.

En vain. Le 9 février 1955, 2000 policiers armés de fusils et de matraques chassent la population noire vers Meadowlands, à Soweto, et dispersent les Métis au sud de Johannesburg, les Indiens vers Lenasia et les Chinois au centre de la ville.

Brutale, la scène est dansée et éclairée par un film diffusé sur écran géant, avant que les Via Katlehong ne rendent hommage aux nombreux artistes et écrivains qui ont fait la renommée de Sophiatown, célébrant la créativité du quartier.

«On essaie de montrer la façon dont les choses se passent. C'est le mieux que nous puissions faire sans devenir «trop» politiques», explique Nomathamsanqa Baba, décryptant une scène sud-africaine aussi effervescente qu'engagée.

Pour célébrer l'année de l'Afrique du Sud en France, la Maison de la Danse de Lyon reçoit d'ailleurs à partir de mercredi le Swan Lake, de Dada Masilo, chef-d'oeuvre de malice et charge contre l'homophobie, avant les jeunes Soweto Kids.

Le succès des Sud-Africains à l'étranger contraste avec leur manque de reconnaissance à domicile, où «les compagnies établies sont très rares, et viennent plutôt de cursus classiques», constate Vusi Mdoyi.

«Au départ, je suis juste un gamin des townships qui bouge vite. Ici on n'a aucune aide publique pour les danses de rue, mais on essaie de transmettre aux plus jeunes un peu d'expérience», poursuit le danseur, qui multiplie les ateliers en Afrique du Sud comme en Europe.