Danse-Cité lance sa saison avec Je ne tomberai pas, nouvelle pièce d'Estelle Clareton et de Bernard Meney consacrée au grand Vaslav Nijinski. Hommage à sa folie de danser, comme une tentative de se libérer des aléas terrestres. Une pièce forte, entre théâtre et danse, sans compromis ni répit.

L'année 2013 célèbre le 100e anniversaire du Sacre du printemps de Nijinski qui, un an après L'après-midi d'un faune, aussi créé par le chorégraphe pour les Ballets russes, a définitivement métamorphosé la manière de penser et d'interpréter la danse. Depuis lors, on sait que la danse est potentiellement dangereuse et scandaleuse.

Plutôt que de «faire leur Sacre» comme d'innombrables chorégraphes, Bernard Meney et Estelle Clareton ont choisi de mettre en scène leur vision de la folie, physique et psychique, qui s'est manifestée chez Nijinski dans son génie créateur et perturbateur, mais aussi dans sa chute dans une schizophrénie mystique. Mais était-ce une chute? Un envol?

Il en a inscrit la trace dans ses Cahiers. Dans un long monologue, non tranquille et habité, Bernard Meney, à la fois danseur, comédien et metteur en scène, en donne des extraits. Est-ce seulement du théâtre, dès lors? Non, bien sûr. Dans ce monologue, coup de poing dans les tripes, c'est le corps même du texte qui danse. Sur la scène nue du Quat'Sous, balayée d'une lumière crue qui, peu à peu, se refermera sur elle-même, le corps de Meney est harcelé par ces mots qui sortent dans une fièvre charnelle.

Car danse comme théâtre visent un lieu, invisible, par-delà corps et âme. C'est aussi l'objectif de la folie qui apparaît, dans les extraits choisis, comme une ultime tentative de se désaliéner des déceptions à l'égard des humains, de leur ingratitude et de leurs peurs. «Je n'ai pas peur de tomber. Donc je ne tomberai pas.» Lui n'a pas failli. Il s'est juste échappé. Mais y a-t-il une autre façon de danser?

Le dernier quart de la pièce libère alors la danse pure. Pulsive, exténuante, dans le rythme des percussions qui secouent le spectateur autant que les cinq interprètes masculins. Puissante, bouleversante danse d'hommes, tracée au cordeau par Estelle Clareton qui, elle aussi, ne cesse de vouloir dépasser les limites entre théâtre et danse. On en sort avec autant de sensations que de questions. Un peu plus proches, peut-être, de Nijinski.

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Je ne tomberai pas, Vaslav Nijinski, d'Estelle Clareton et de Bernard Meney, au Théâtre de Quat'Sous les 19, 23, 24 et 25 octobre.