Figure emblématique de la danse contemporaine française, la chorégraphe Maguy Marin présente dès demain sa plus récente oeuvre, Salves, qualifiée par la critique de «pièce maîtresse» et «d'ouragan chorégraphique». Entrevue avec une artiste engagée.

L'homme politique et révolutionnaire russe Léon Trotski a eu cette phrase célèbre à propos de son époque: «Celui qui aspire à une vie paisible s'est trompé en naissant au XXe siècle.» Maguy Marin lui donne raison avec sa pièce pour sept interprètes, Salves, créée en septembre 2010 à Lyon et présentée à Montréal, dès demain soir, dans le cadre de Danse Danse.

En effet, Salves est un travail sur l'histoire du XXe siècle en gestes et en images, sous le regard de cette artiste d'origine espagnole qui vit à Toulouse. «En Europe, c'est le siècle des grandes catastrophes», résume-t-elle en entrevue téléphonique à La Presse. Ce siècle a été témoin de deux guerres mondiales, d'une guerre civile en Espagne, de génocides, de la Révolution russe, etc. Dans l'élan de l'industrialisation, le XXe siècle a été traversé par deux pôles, deux forces antagonistes: d'un côté, les forces de l'égalité et de la justice sociale; de l'autre, celles du progrès, du capitalisme.

«Au fil du siècle, il y a eu des réseaux de résistance, des syndicats, des mouvements de masse qui exprimaient leur colère envers le pouvoir, poursuit Maguy Marin. Aujourd'hui, c'est le règne du chacun pour soi. Le néolibéralisme et l'individualisme occupent tout le terrain. Par chance, ici et là, il reste quelques lucioles qui allument de petits foyers de résistance...»

Bien que la chorégraphe de 62 ans se considère comme une artiste et non une militante, à ses yeux, «l'art est toujours politique». «Un créateur a le choix. Il peut aller dans le sens du pouvoir, ou bien dans celui de la subversion, croit-elle. Parce que l'art peut servir à remettre en question les décisions politiques, les normes sociales, les valeurs, la moralité, etc.»

«Organiser le pessimisme»

Maguy Marin a bien sûr choisi le deuxième camp. Observatrice du monde contemporain, son thème favori est le «vivre ensemble». Encore là, les dérives identitaires de son continent ne font rien pour la rassurer quant à l'avenir.

«Je suis plutôt pessimiste... mais je ne suis pas seule, reconnaît-elle. On ne peut pas dire que les forces sociales positives et égalitaires ont remporté la bataille du XXe siècle. L'argent, le profit ont gagné sur l'humain, le partage. Or, il faut continuer à lutter, à résister. Je m'inspire beaucoup de cette phrase de Walter Benjamin: «Il faut organiser le pessimisme.»»

Au fil du temps, la formation et les projets artistiques de Maguy Marin l'ont amenée, à décloisonner la danse, au point qu'elle a, peu à peu, délaissé ses codes conventionnels afin d'explorer le mouvement comme parole, les gestes du quotidien comme témoins de nos vies.

Danse ou théâtre? Elle refuse de trancher. «Je travaille beaucoup sur les images actuellement. Je suis loin du théâtre de texte et loin du mouvement dansé. Dans ma compagnie, j'engage des danseurs de formation et des acteurs qui ont une belle conscience de leur corps. J'essaie d'équilibrer les deux. Car les acteurs influencent les danseurs, et vice versa.»

Femme simple, humaine et inspirante, Maguy Marin croit qu'il est primordial de prendre en compte ce qui se passe ailleurs dans le monde et aussi autour de nous. «Comment fait-on pour marcher en ville en ignorant ces gens qui dorment dans la rue, qui n'ont pas de travail, qui sont exclus de la société? L'Europe a fait sa richesse sur le dos des colonies, en pillant ces pays. Et maintenant que ces ex-colonisés débarquent en Europe en rêvant d'avoir une meilleure vie, on les rejette! Il y a des gens qui aimeraient construire un mur pour ne pas voir les étrangers, pour séparer les riches des pauvres... comme en Palestine. Alors qu'il faut plutôt apprendre à vivre ensemble, à partager le butin.»

Chasser le politique, il revient au galop!

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Au Théâtre Maisonneuve, de demain à samedi.