Bien avant le disque de poèmes chantés Les 12 hommes rapaillés en 2008 et le magnifique spectacle qui en a été tiré ensuite, de jeunes danseurs ont eu une idée qui aurait beaucoup plu au danseur et «calleur de sets» qu'était aussi le poète Gaston Miron. Ils ont conçu une chorégraphie toute «rapapillotée» de gigue et de danse contemporaine sur des poèmes du recueil L'homme rapaillé. Tout comme Miron, ils ont travaillé et retravaillé leur oeuvre, qu'ils présentent au FIL mardi prochain. Je marche à l'amour, je danse à l'amour aussi, grâce à la troupe Zogma...

En 2005, la troupe Zogma a déjà produit un spectacle qui mêle la gigue et le gumboots, autour du thème du travail. Elle est choisie pour représenter le pays aux Jeux de la francophonie, au Niger: «Je nous revois assis, relate le directeur artistique de la compagnie, Mario Boucher, un peu paniqué, à nous demander ce qu'on va pouvoir présenter... Et là, en discutant à bâtons rompus, Dominic [Desrochers, chorégraphe] me dit qu'il est en train de lire L'homme rapaillé, alors que je venais de faire du ménage dans ma bibliothèque et d'y retrouver ma copie du recueil, annotée et tout, du temps où je lisais Miron au collège de Maisonneuve. Ç'a été le déclic, parce qu'on voulait parler de la question identitaire dans l'oeuvre à présenter aux Jeux. Et comme Miron, on veut réactualiser les icônes de la culture québécoise, notamment par la gigue.»

La troupe, y compris l'autre chorégraphe de Zogma, Frédérique-Annie Robitaille, se met donc à fouiller, à chercher...et réalise que Miron faisait aussi de la danse et animait des soirées, notamment à l'Ordre de Bon Temps, mouvement voué à la défense de ce qu'on appelait alors «le folklore canadien-français»

Mélange des styles

C'est ainsi qu'est né Rapaillé, chorégraphie de danse percussive qui semble puiser dans la gigue, mais aussi la danse celtique et le flamenco, pour mieux faire claquer les mots de Miron. «On a commencé à sélectionner des extraits des divers poèmes de L'homme rapaillé en fonction du thème des quatre saisons, poursuit Mario Boucher. C'est important, dans notre identité, de vivre dans un pays où il y a quatre saisons. Crois-moi, on a pogné de quoi quand on est arrivé au Niger et qu'il faisait 42°C; en plein mois de décembre! Et imagine quand on est revenus au Québec, où il faisait-38!» Cette première version de Rapaillé durait 20 minutes. «Et elle était un peu trop «trad», finalement». Alors, tel un recueil de poèmes de Miron, elle a connu modifications, transformations, ajustement, «rapaillage», quoi!

Car le hasard continuant à bien faire les choses, Mario et Dominic sont arrivés un jour de 2008 dans un café de l'avenue du Mont-Royal où le comédien Pierre Lebeau a ses habitudes. «C'est un peu son bureau! dit Mario en riant. Nous, on est là parce que notre studio de répétition n'est pas loin, on est gênés, mais bon, on se décide à aller le voir, on lui parle de notre projet, et est-ce qu'il accepterait peut-être de réenregistrer la trame poétique de notre spectacle? Nous, en tout cas, on savait ce que sa voix pourrait donner comme «oumph» à notre spectacle...»

L'après-midi même, l'affaire s'arrange. Pierre Lebeau entre en studio pour enregistrer la trame poétique «récitée». Et Zogma apprend du même coup que Lebeau a eu Miron comme professeur à l'École nationale de théâtre!

Tout ça a évidemment nourri la chorégraphie, de même que le travail sonore de Vincent «Freeworm» Letellier et Julien Roy, qui signe une trame musicale véritablement dramatique. Présenté depuis près d'une cinquantaine de fois, ici et ailleurs, Rapaillé est à l'image de l'oeuvre de Miron: toujours en mouvement, dans tous les sens du terme.

«C'est impossible qu'il en soit autrement quand tu travailles du Miron, où il n'y a rien de définitif, explique Boucher. Et disons qu'on s'est rapidement rendu compte qu'il fallait nous adapter à l'oeuvre, qu'elle n'allait pas s'adapter à nous! Alors, représentation après représentation, la base est la même, la signature est la même, mais il y a toujours des trucs qui bougent. Surtout dans la partie inspirée par l'été... Pour la chorégraphie de cette partie, on a toujours pensé à ce que Miron pouvait voir de sa fenêtre de sa maison du carré Saint-Louis: les arbres, les filles qui se baignent dans la fontaine... Eh bien, pas une seule fois on a dansé cette partie de la même manière, peut-être parce qu'on n'a jamais deux fois de suite le même type d'été», lance en riant Mario Boucher.

«On est comme lui, finalement, on réécrit toujours notre oeuvre!» lance en riant Boucher. Chose certaine, à sa manière toute percussive et gestuelle, Zogma incarne à merveille ces vers tirés du beau grand poème de Miron, Compagnon des Amériques. «Je me ferai porteur de ton espérance/veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement/un homme de ton réquisitoire/un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse/un homme de ta commisération infinie/l'homme artériel de tes gigues»...

Rapaillé, par la troupe de danse Zogma, dans le cadre du FIL, mardi 24 septembre, 19h30, Cinquième Salle de la Place des Arts.

Photo fournie par le Festival international de littérature

Présenté depuis près d'une cinquantaine de fois, Rapaillé est à l'image de l'oeuvre de Miron: toujours en mouvement, dans tous les sens du terme.