«Me croirais-tu si je te disais que je suis capable de manger un autre humain?» Ce pourrait être la phrase titre de toute relation. Le résumé de tout ce que nous espérons, avidement, et redoutons, ardemment, en abordant une nouvelle liaison. La fascination impulsive de nous y découvrir tout nouveau tout beau et la prudence de ne pas totalement y perdre nos fondamentaux immuables, notre bon vieux Moi qui nous identifie.

Ceci, bien sûr, étant valable au niveau du couple comme au niveau d'une société. Tout choc de civilisations, toute invasion barbare offre en même temps un émerveillement et une évolution. Alors, pourquoi pas en faire le sujet d'une chorégraphie qui stipule d'emblée les paramètres, tentants autant qu'inquiétants, de la possible rencontre entre des différences, des territoires, des langues, des histoires, et des corps qui les incarnent?

Ce sont là autant de niveaux d'attraction que de répulsion, de mouvements d'atermoiements que de fusion qu'Emmanuel Jouthe et Chiara Frigo abordent dans When we were old. Avec une justesse aussi délicate que leur énergie est vibrante. Ça donne une pièce intelligente et cérébrale, aussi charnelle qu'organique.

Les deux danseurs communiquent une forte prégnance physique, mise en valeur par une écriture chorégraphique qui alterne puissance et fluidité, verticalité et instabilité, marches errantes et chocs d'union magnétiques. Sur un tempo trépidant. Un pas de deux qui tient de l'art de la guerre. Ou l'inverse.

Le dramaturge Guy Cools en a limé les aspérités et les incompatibilités excessives, et a posé des phrases qui font sens et offrent des moments d'accalmie. L'environnement sonore de Laurent Maslé, vibratoire et pulsif, accélère le rythme cardiaque et ne laisse pas d'échappatoire.

Lui noir, elle rousse, lui québécois, elle italienne, lui musclé elle frêle, lui silencieux elle plus prolixe, sur l'espace épuré de la scène, sous une lumière drue puis mouvante, ils ont leur métier de chorégraphes, lui aguerri, elle émergente, et de danseurs, en commun. De tous leurs contrastes ressort finalement un nouveau territoire, un carré fushia qui apparaît soudain, improbable, comme une promesse non acquise. Le tout est crédible et invitant.

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When we were old, Emmanuel Jouthe et Chiara Frigo, à l'Agora de la danse jusqu'au 26 avril 20h.