Le directeur artistique du Bolchoï, Sergueï Filine, a été grièvement brûlé au visage et aux yeux dans une agression à l'acide jeudi soir à Moscou, qui met en lumière les luttes internes féroces au sein du plus célèbre théâtre de Russie.

L'artiste a été attaqué jeudi soir tard par un inconnu qui lui a jeté de l'acide au visage, en bas de son immeuble dans le centre de Moscou.

«J'ai cru qu'on allait me tirer dessus. Je me suis retourné pour m'enfuir, mais il m'a rattrapé et il m'a aspergé le visage», a raconté l'ancien danseur, la tête entièrement bandée, à une équipe de la chaîne Ren-TV dans sa chambre d'hôpital.

Il souffre de brûlures au troisième degré et ses yeux sont atteints, faisant craindre qu'il ne perde la vue. Il subissait vendredi après-midi une intervention chirurgicale aux yeux.

«Ensuite il partira dans un hôpital militaire en Belgique pour grands brûlés», a indiqué le directeur du Bolchoï, Anatoli Iksanov, lors d'une conférence de presse.

«Il ne fait aucun doute que cette attaque est liée à son activité professionnelle», a-t-il encore dit.

Une enquête pour blessures volontaires a été ouverte par la police moscovite, qui a, elle aussi, indiqué privilégier la piste professionnelle.

Katerina Novikova, porte-parole du Bolchoï, a déclaré que Sergueï Filine avait été la cible de menaces depuis sa nomination en mars 2011 au poste de directeur artistique.

«Sergueï était menacé en permanence depuis qu'il a pris ce poste, et ses prédécesseurs l'étaient aussi», a-elle déclaré à la télévision.

«Nous n'avions jamais pensé que la guerre pour les rôles pourrait en arriver à ce niveau criminel. Il nous a toujours semblé, et nous avons toujours voulu croire, que les gens du monde du théâtre avaient un minimum de morale. C'est pour ça que cette histoire est terrible», a-t-elle dit.

Des inconnus ont crevé les pneus de sa voiture récemment, tandis que sa messagerie et son compte Facebook ont été piratés.

Le monde du ballet s'est dit «sous le choc» mais peu surpris par l'attaque de M. Filine.

«Nous sommes choqués et ébranlés. C'est un crime sauvage», a déclaré la danseuse étoile du Bolchoï, Svetlana Zakharova, lors de la conférence de presse.

Boris Akimov, ancien directeur artistique du théâtre, a pour sa part souligné que ce poste était «difficile».

«Le directeur artistique prend des décisions très importantes, sur la rémunération des artistes, sur qui jouera quel rôle», a expliqué à l'antenne de la radio Echo de Moscou une ancienne danseuse du Bolchoï, Anastasia Volotchkova, soulignant la «cruauté du monde du ballet».

«Il y a une lutte terrible pour les rôles, pour une promotion», a-t-elle expliqué.

Le chorégraphe Alexeï Ratmanski, ancien directeur artistique du Bolchoï, a jugé que l'attaque contre M. Filine «n'était pas un hasard», compte tenu des pratiques au théâtre.

Il a notamment fustigé la «pratique révoltante des applaudissements payés (...) les trafiquants et revendeurs de billets, les fans à moitié fous, prêts à sauter à la gorge des concurrents de leurs idoles».

La cause de tout cela est la disparition progressive de l'éthique du théâtre, a-t-il ajouté.

L'historien du ballet Vadim Gaïevski, interrogé par l'AFP, a cependant rappelé que les intimidations n'étaient pas une nouveauté au Bolchoï.

Il a raconté qu'à l'époque soviétique, les danseuses retrouvaient parfois dans leurs pointes des éclats de verre, et que la célèbre ballerine Galina Oulanova avait reçu une lettre dans laquelle on la menaçait de lui briser les jambes.

M. Filine, 42 ans, a dansé au Bolchoï à partir de 1988 avant de devenir en 2008 le directeur artistique d'un autre théâtre musical moscovite, portant le nom de Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko, dont il a fait l'une des scènes les plus prestigieuses de Russie.

En mars 2011, ce père de trois enfants a remplacé au Bolchoï le précédent directeur artistique Iouri Bourlaka.

Un autre candidat à ce poste, Guennadi Ianine, directeur du ballet, avait renoncé et démissionné du Bolchoï après la diffusion sur l'internet de photos pornographiques.