L'Agora de la danse poursuit son fol automne qui permet de découvrir des artistes réputés là où on ne les attendait plus tout à fait. Ainsi Les mêmes yeux que toi, captivant et déstabilisant solo d'Anne Plamondon. Une délicatesse d'une force telle qu'on n'en sort pas indemne.

Il y a les chorégraphes pour qui le solo constitue l'enfance de leur art. Ceux qui en font une signature à vie. Pour Anne Plamondon, ce premier solo semble le point d'orgue cathartique d'un parcours magistral. Après avoir dansé pour (quasi) tous les plus grands chorégraphes classiques et contemporains de ce temps, avoir créé et dansé neuf pièces pour le Groupe RUBBERBANDance fondé avec Victor Quijada, elle se lance, funambule, seule en scène. Et nous emporte.

Pas tout à fait seule puisque Marie Brassard assure la complice et subtile dramaturgie, signe la cohérence hypnotique de l'ensemble, met des mots,  beaucoup de mots qui résonnent fort et frappent juste parce que dits par l'interprète, en voix off ou sur scène.

Pas tout à fait seule non plus parce qu'elle parvient à peupler la scène vide, sculptée par les lumières grises de Yan Lee Chan, de plusieurs personnages distincts, chacun d'eux spécifié par une gestuelle, un rythme, qui lui est propre. Propre à son histoire douloureuse.

La facilité et le premier degré ne sont pas son genre, alors pour son premier solo, Anne Plamondon a choisi un sujet risqué, clair-obscur comme cette ligne fragile qui unit en même temps qu'elle sépare la normalité psychique de son contraire. Une matière délicate pour une danseuse exceptionnelle, unique, qui réussit l'improbable mélange entre l'infinie délicatesse, la fluidité totale et la puissance musculaire, mais aussi celle de l'impact physique et émotif.

Le thème, la musique prégnante signée Njo Kong Kie, la poétique obscure de l'ensemble, tout ici est trouble, et troublant. Étrange, fascinant plutôt qu'effrayant, mais déstabilisant. Le vocabulaire chorégraphique, fait de cassures, de basculements, de tressaillements, de recroquevillements et de tentatives de fuite ou d'envol, le transmet à merveille.

Anne Plamondon nous donne à ressentir dans nos propres replis que la maladie de l'esprit s'exprime d'abord comme un malaise physique. Pour traduire les méandres d'un cerveau imparfait, il faut une «physicalité» parfaite. La sienne, en plus, est habitée.

Les mêmes yeux que toi d'Anne Plamondon et Marie Brassard, à l'Agora de la danse jusqu'au 10 novembre.