Les Grands Ballets canadiens entament leur nouvelle saison avec une imposante production du chorégraphe tchèque Jiri Kylian. Une pièce réunissant sur scène 22 danseurs ainsi que 18 musiciens provenant des ensembles japonais Kodo et Gagayu. Un ballet contemporain étonnant, rythmé par la musique traditionnelle japonaise.

Au début, il y eut ce conte japonais: Le coupeur de bambou, décliné en d'innombrables versions. De ce conte narrant le passage sur Terre de la princesse de la lune, le compositeur nippon Maki Ishii fit une pièce pour orchestre. C'est lui qui a pris contact avec le chorégraphe tchèque Jiri Kylian, en 1984, pour créer un ballet. Quatre ans plus tard, le chorégraphe de Symphonie des psaumes et Bella Figura a monté Kaguyahime au Nederlands Dans Theater.

Kaguyahime raconte l'histoire d'une jeune fille trouvée, puis élevée par un modeste coupeur de bambou. À mesure qu'elle s'épanouit, la jeune femme devient l'objet de la convoitise des hommes de son village, renversés par sa beauté. Même l'empereur cherchera à la posséder. En vain. L'héroïne, baptisée Kaguyahime, c'est-à-dire «celle dont la lumière brille la nuit», est envoyée de la lune... Symbole de la pureté spirituelle, la belle, insaisissable, ne fera que passer.

«C'est la pièce la plus narrative créée par Jiri Kylian, nous dit Elke Scheperes, qui avait le rôle-titre dans Kaguyahime lors de la création aux Pays-Bas en 1988. C'est elle qui, aujourd'hui, recrée le ballet de Kylian avec Patrick Delcroix et Ken Ossola. «On l'a recréé exactement comme à ses débuts, explique-t-elle. Kylian avait épuré le récit au maximum. Notre rôle est de reproduire sa chorégraphie. Même s'il y a des éléments du décor qui ont changé.»

Elke Scheperes avait 23 ans lorsqu'elle a interprété le rôle de Kaguyahime. Le hasard a fait que les deux interprètes des GBC qui incarneront cette princesse de la lune - Eva Kolarová et Sarah Kingston - ont elles aussi 23 ans. Quel profil de danseuse cherchait-elle? «Kaguyahime est évidemment très belle, mais elle doit aussi être forte. En même temps, elle a un côté innocent et vulnérable. Ce sont des caractéristiques qu'on a trouvées chez ces danseuses», nous dit-elle. Les deux jeunes femmes y tiennent pour la première fois un premier rôle.

La plus grande difficulté que pose l'interprétation du personnage, selon Elke Scheperes, est dans l'exécution de ses mouvements. «Elle se déplace très lentement, souvent sur une jambe. Il faut donc avoir un équilibre quasi parfait. Il y a aussi un travail de danse au sol, qui est très exigeant. Chaque mouvement doit briller. Kaguyahime, cette princesse de la lune, est une petite créature qui doit montrer beaucoup de grâce et de courage.»

La rencontre de deux mondes

Les scènes de combats entre les prétendants de Kaguyahime, entrevues pendant les répétitions de la troupe, sont impressionnantes. Toute la pièce est rythmée par les percussions de l'ensemble Kodo, dont les huit membres - qui habitent dans l'île de Sado - sont des maîtres de taiko (tambour traditionnel japonais). Ils seront épaulés par sept autres percussionnistes de l'Orchestre des Grands Ballets qui feront gronder leurs instruments. Trois autres musiciens issus de l'ensemble Gagaku, spécialiste de la musique impériale nippone, joueront des instruments à vent et à cordes.

Le directeur artistique des Grands Ballets canadiens, Gradimir Pankov, un ami de Jiri Kylian, a vu la pièce à Amsterdam en 1988. «Ce spectacle est une rencontre extraordinaire entre l'Orient et l'Occident, estime-t-il. Parce qu'il combine la musique traditionnelle nippone à un ballet très contemporain, d'influence européenne. Kaguyahime est la rencontre de ces deux mondes.» Jiri Kylian, qui ne sera pas ici à la première (il a la phobie des avions), s'en est remis à ses trois répétiteurs, d'anciens danseurs de sa compagnie.

Patrick Delcroix a dansé dans Kaguyahime pendant une dizaine d'années. Il a d'abord fait un des cinq solos des prétendants du village, et même tenu le rôle de l'empereur. Avec Elke Scheperes, il a travaillé à la recréation de la pièce à l'Opéra de Paris il y a deux ans. «On connaît bien ce ballet, dit-il. À Paris, Jiri Kylian était venu les deux dernières semaines avant la première pour peaufiner le tout, afin que le travail de recréation se passe bien. Avec les vidéos, on a pu former assez facilement les danseurs des Grands Ballets.»

«La troupe est très emballée de danser une pièce de Kylian, indique Patrick Delcroix. C'est une pièce techniquement assez difficile, donc il s'agit d'un beau défi pour un danseur. Et puis, la musique live sur scène est très puissante.»

Même enthousiasme du côté d'Elke Scheperes: «Kylian est un créateur extraordinaire, qui insuffle une belle musicalité à ses chorégraphies. C'est aussi quelqu'un qui se réinvente constamment depuis les années 60 et, surtout, qui est à l'écoute des danseurs.»

____________________________________________________________________________

Kaguyahime, princesse de la lune, du 11 au 27 octobre à la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA.

Photo: André Pichette, La Presse

Eva Kolarová, l'une des deux interprètes de Kaguyahime, avec les danseurs Jérémy Galdeano et Jeremy Raia.