Si le corps ne ment pas, l'habit et, plus encore, les conventions et les codes comportementaux socialement corrects font le moine, ou l'amoureux, ou le partenaire de bal, ou le propriétaire d'un animal de compagnie... ou tout autre rôle que nous attribue la collectivité, qui attend que nous réagissions comme on s'attend à ce que nous le fassions. Que nos corps, policés, formatés, retiennent pulsions, émotions, sensations et autres débordements de l'inconscient.

C'est exactement ce formatage habituel et identifiable du corps que Catherine Gaudet, créatrice en émergence de la relève chorégraphique montréalaise, fait carrément exploser dans sa nouvelle création Je suis un autre. Traduisez: je ne suis pas ce que vous voyez, mon corps pourrait, au lieu de faire écran, le trahir.

Gaudet privilégie les états de corps comme une membrane révélatrice et non opaque. Elle propose des situations que l'on croit reconnaître, mais que l'on doit finalement interpréter librement, et qui sont autant d'observations singulières des relations et des rapports de force, donc de désir, de séduction, de pouvoir, d'attraction-répulsion...

Cet univers iconoclaste est fragile. La moindre lacune de justesse d'interprétation, la moindre tentation de compromission, pourrait faire basculer cette gestuelle tout à fait unique dans le pastiche, voire l'exagération irritante. Il faut donc des interprètes exceptionnels. Épatants. Et c'est exactement ce que sont Caroline Gravel et Dany Desjardins.

Avec une énergie intense, leur duo mêle constamment sur le fil du rasoir des corps à corps fusionnels souples qui basculent dans une violence pleine d'irritation, des bras le corps langoureux, de l'enthousiasme, des mots qui fusent, et de l'humour, cynique ou franchement réjouissant. Des contrastes toujours en tension, pour une gestuelle toujours originale, jamais codée ni identifiée d'avance.

À parler de décalage, Catherine Gaudet a aussi la subtilité d'avoir fait appel à des artistes de danse de la relève qui agissent ici dans des rôles inattendus. Le danseur Jacques Poulin-Denis signe l'univers musical, mélangeant des sonorités étranges et énigmatiques et des partitions du patrimoine mondial de la musique comme L'hymne à la joie de Mozart. Le chorégraphe, musicien et danseur Frédérick Gravel signe les éclairages, carré de lumière en milieu de scène, spot blanc fixe ou rampe de lumières roses. La cohérence entre tous les éléments du spectacle est ainsi assurée.

Le spectacle finit dans un climax succulent, parodie d'une scène de bal sur la célèbre Take This Walz de Leonard Cohen. Mais il ne s'agit pas de vendre le punch. Il faut voir ce spectacle, purement jouissif!

Je suis un autre, de Catherine Gaudet, au Théâtre de la Chapelle jusqu'au 7 avril.