Cette soirée Stravinsky est en fait une soirée Stijn Celis qui nous permet de retrouver en trois pièces, une inédite et deux reprises, tout ce qu'on aime du chorégraphe belge: l'écriture chorégraphique minutieuse, originale et vive, techniquement très exigeante; la vision critique des relations humaines, entre individu et société, entre hommes et femmes, entre intériorité et apparences. L'intensité, surtout, qui se dégage de cet univers singulier et cette esthétique inattendue mais d'une grande beauté.

Le programme débute par Anima, un pas de trois créé spécialement pour cette soirée. Un triangle relationnel pour une femme et deux hommes dans un clair-obscur qui sculpte les trois silhouettes gainées de noir sur un fond de moire bleutée. Un univers d'emblée méditatif qui invite à une réflexion induite sur les liens secrets, rapprochements et éloignements, qui lient ses trois êtres. Celis a choisi ici le piano, celui d'un nocturne de Chopin et d'une sonate de Scarlati pour évoquer le mystère que dégage le féminin, qui tient ici le rôle central, et l'impact que celui-ci exerce sur le masculin. Anima est un petit bijou, puissamment magnétique.

Suit la version de Celis du Sacre du printemps sur la célébrissime musique de Stravinsky. La pièce a manifestement bénéficié, depuis sa création en 2009, d'une belle maturation, une restructuration qui rend les sept parties d'un intérêt plus égal qu'il ne l'était dans notre souvenir. La vision de Celis est sociale, le sacrifice est celui de la différence au profit de la cohésion du groupe. Les costumes, les visages blancs comme des masques, la justesse poignante de l'interprétation, s'ajoute à l'impact tellurique de la musique pour créer une force bouleversante.

La soirée finit en apothéose avec Noces, toujours sur la musique de Stravinsky, habitée ici par des poèmes et des chants russes. Une oeuvre magique, enlevée, d'une sobre beauté en noir et blanc qui laisse toute la part à l'irrévérence de la vision de Celis qui rejoint celle de Stravinsky, et à l'audace de son vocabulaire chorégraphique. D'une distribution à une autre, depuis 2002 les interprètes ont changé mais Noces demeure une oeuvre majeure du répertoire des Grands Ballets, et on ne se lasse jamais de la revoir.

Soirée Stravinsky et Stijn Celis pour les Grands Ballets. Au Théâtre Maisonneuve, 20h, jusqu'au 31 mars.