Pour fêter les 30 ans de sa compagnie, le chorégraphe et interprète Paul-André Fortier tente une expérience à la fois nécessaire, troublante et risquée : transmettre son solo Bras de plomb, qu'il avait créé en 1993 avec l'intime collaboration de l'artiste visuelle Betty Goodwin, au jeune danseur Simon Courchel. Pari pleinement réussi.

Pour ceux qui avaient vu la pièce originale comme pour ceux qui la découvrent, c'est d'abord une oeuvre forte, magnétique, d'une beauté prégnante minutieusement architecturée. D'un corps à l'autre, le solo s'est réincarné, échappant à l'évanouissement du corps et du mouvement. Et même plus. En un éclair, on reconnaît en Courchel non seulement la signature gestuelle de Fortier, mais aussi un mimétisme d'exécution, une manière d'habiter l'espace, comme ressurgie du temps.

L'effet est augmenté par le filet transparent à travers lequel on regarde le solo. Ce rideau de maille crée un léger flou, comme un filtre du réel, qui sert à la fois de support de projection de l'imaginaire et des photos des objets créés par Betty Goodwin.

La lumière marbre le sol de pénombres de couleurs chaudes, on se sent presque dans un tableau. Un tableau vivant où un homme danse avec les objets du décor. Des objets signés Goodwin à la fois quotidiens et oniriques, qu'on jugerait presque animés. La musique de Gaëtan Leboeuf parachève cette ambiance mystérieuse, obsédante, sinon parfois pesante, qui enveloppe l'ensemble.

Comme cet homme sur scène, on se sent vaguement captif comme on le serait dans un rêve où les perspectives, les objets, le corps même, sont distordus et détournés. Cet être qui danse transmet le besoin d'échapper à une certaine oppression indicible.

L'interprétation de Simon Courchel est magnifique. Subtile, fluide, sentie. Avec une gestuelle architecturée des bras et du tronc caractéristique de Fortier. Oui, ça aurait été dommage que cette belle pièce se perde.

Bras de plomb, de Paul-André Fortier, à l'Agora de la danse jusqu'au 29 octobre.