Ils sont 18 danseurs, acteurs et musiciens, d'origines métissées, partagés entre 13 pays, 7 religions et 15 langues. Les interprètes de Babel (words), dont un Québécois, incarnent le sujet même de cette pièce, présentée par Danse Danse à partir du 29 septembre, qui explore les notions de langue, d'identité et de territoire. Aux commandes, les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet.

«À nous deux, on fait un Belge!», rigole Damien Jalet en parlant de son complice Sidi Larbi Cherkaoui. Jalet est moitié wallon, moitié français, alors que Cherkaoui est né d'une mère flamande et d'un père marocain. Depuis 11 ans, le Wallon et le Flamand collaborent - une utopie en Belgique! -, accouchant ensemble d'univers hybrides, et profondément humains, entre danse, musique et théâtre. On pense notamment à Foi (2003) et à Myth (2007), les deux premiers volets d'une trilogie qui se conclue avec Babel (words).

Comme plusieurs créateurs européens, Jalet et Cherkaoui aiment les distributions cosmopolites. «Mais cette fois, c'est plus complexe, affirme Cherkaoui, parce qu'on a délibérément choisi des danseurs aux origines doubles. Par exemple, un a grandi en Norvège mais vient des Philippines; un autre a été élevé dans le sud de l'Amérique, mais est allemand... Ce sont eux qui peuvent le mieux parler de cet entre-deux que nous explorons parce qu'ils le vivent au quotidien.»

Inspirés par le mythe de la tour de Babel et imprégnés de lectures comme Les identités meurtrières d'Amin Maalouf, L'histoire de l'amour de Nicole Krauss, où il est question d'une langue originelle, ou les écrits d'Umberto Eco sur l'histoire des langues, Jalet et Cherkaoui entraînent les membres de leur tribu improvisée à la recherche de ce qui les unit. Pour le meilleur et pour le pire!

«Nous avons d'abord mis les individus les uns en rapport aux autres. Placer un Québécois comme Francis Ducharme en face d'un Français, c'est déjà parlant!», note Jalet. Les chorégraphes ont aimé observer les interprètes évoluer entre eux. Jalet reste notamment ému par la vulnérabilité tout comme la force qui émanent de quelqu'un qui défend sa propre langue. «C'est à la fois touchant... et terriblement arrogant!», constate-t-il.

Au son d'un groupe de musiciens aussi hétéroclites que les danseurs, et au-delà de cet omniprésent anglais que parlent plus ou moins tous les participants, ceux-ci cherchent entre autres à utiliser le rythme comme élément unificateur. Un rythme qui sous-tend leur quête d'une sorte «d'esperanto physique», selon les mots de Jalet. Celle-ci ne s'est pas fait sans heurts! Le Québécois Francis Ducharme se souvient d'en avoir pris pour son rhume. «Juste d'essayer de danser sur le même compte au début, c'était le bordel! On avait chacun une technique!», lance le comédien-danseur, qui s'est exilé deux ans à Bruxelles pour participer à l'aventure.

S'il raconte les amitiés indéfectibles qu'il a scellées, Ducharme relate aussi les combats d'ego entre ces Portugais, Japonais, Norvégien, Africains, acteurs, acrobates, breakdancers et tutti quanti! Jalet ne cache pas qu'il y a eu des conflits, surtout quand il était question de danse: «Chaque danseur avait une idée très arrêtée sur ce que devait être le mouvement, pour lui... et pour les autres!»

«Mais la pièce parle aussi de conflit! On n'est pas juste dans une espèce d'harmonie babacool!», tient à préciser Jalet, même si Babel (words) s'est avérée moins pessimiste que ne l'anticipaient les deux chorégraphes. «En fait, elle donne un espoir incroyable aux gens et ça, c'est une surprise!», relate-t-il, lui prouvant, à nouveau, que, tout aussi pragmatique et structurée soit l'équipe qu'il forme avec Cherkaoui, la création n'est jamais un exercice entièrement cartésien, fixe et immuable.

«Et il en va de même pour notre identité», conclut Jalet. Tels les immenses cubes mouvants d'Antony Gormley qui composent l'essentiel de la scénographie de Babel (words), notre identité se transforme, parfois dans une direction qui nous est inconnue. «Oui, le fait de se définir culturellement, de transmettre des traditions, c'est primordial, admet Jalet. Mais il faut aussi arriver à accepter que notre culture soit changeante et influençable. Sinon, gare au rejet et à l'exclusion!»

Babel (words) de Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui. Du 29 septembre au 1er octobre, au Théâtre Maisonneuve. www.dansedanse.net