Avec Avril est le mois le plus cruel, Jocelyne Montpetit entame une nouvelle trilogie élégiaque. On y retrouve son art incomparable du solo inspiré du butô, son inspiration littéraire, son amour inconditionnel du Japon. Et la mélancolie qui l'habite depuis l'enfance.

«Je suis d'abord une danseuse», dit Jocelyne Montpetit pour expliquer qu'elle a renoncé depuis longtemps à chorégraphier des pièces de groupe, et ce, même si elle a fait ses débuts, en 1988, avec Les géantes aux pieds d'argile, une pièce pour huit danseuses.

Son premier solo, Lettre à un homme russe, date de 1992. Son univers y était déjà tout entier, fusionnant l'influence primordiale de la littérature, l'interrogation sur le féminin, la conscience aiguë des états de passage, de métamorphose, entre le danger de mort et le désir de renaissance.

Sa danse singulière est issue de sa formation à la danse classique avec Jerzy Grotowski en Pologne et Étienne Decroux à Paris, puis au butô auprès des maîtres Min Tanaka, Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno, aussi influents sur sa danse que les écrits de Dostoïevski et Pessoa, mais aussi Nijinsky ou Hijikata.

«L'influence du butô comme travail philosophique sur l'existence m'est essentielle, dit-elle, mais je n'aime pas me définir. Dans «définir», il y a finir et je ne veux pas qu'on me fige pour toujours.»

Revenant à son choix délibéré du solo, elle précise: «Si j'avais une compagnie, des danseurs, je passerais plus de temps à leur enseigner tout cela qu'à danser; or, je veux danser. J'ai choisi de sonder mon propre univers.»

Elle enseigne néanmoins, à Montréal et en Italie, entre autres : «La transmission est très importante, et oui, je pourrais être un jour inspirée par un être et avoir le désir de lui créer un solo.» Elle dit que le fait d'être une femme l'a sauvée de la tentation de copier ou de s'identifier à ses maîtres, tous des hommes. Créerait-elle alors pour un homme? «Non, pour une femme», répond-elle en riant.

Japon, terre dévastée

Créatrice prolifique, Jocelyne Montpetit produit en moyenne une pièce par an depuis plus de 20 ans. Il y a huit mois à peine, elle présentait La danseuse malade qui bouclait la trilogie constituée de Faune, puis de Nuit/Nacht/Notte. Trois pièces avec des textes dits sur scène marquées par une théâtralité baroque inédite, issue de l'influence du metteur en scène Francesco Capitano avec lequel elle travaille désormais.

Avec Capitano à la dramaturgie et Sonoyo Nishikawa aux éclairages, elle revient avec Avril est le mois le plus cruel, inspirée cette fois du poème The Waste Land, de T.S. Eliot.

Cette terre dévastée, c'est aussi le Japon, après le tsunami, la catastrophe nucléaire de Fukushima, et le récent typhon: «En réaction à cette dévastation, j'ai conçu à la hâte un projet pour une résidence de création au Japon, et je l'ai obtenue.» Elle y séjournera donc six mois à partir de janvier 2012 pour créer sa prochaine pièce sur le thème des Élégies.

Avril, c'est aussi la floraison des cerisiers, symboles au Japon du retour de la vie, mais aussi, par la brièveté de leurs fleurs fragiles, rappel de la mort. En 2003, Jocelyne Montpetit présentait Les cerisiers ont envahi les espaces comme incendie, avec la danseuse et féministe Tomiko Takai, morte cet été à 80 ans. Cette nouvelle pièce lui est dédiée.

Avril est le mois le plus cruel de Jocelyne Montpetit, du 14 au 16 et du 21 au 23 septembre à l'Agora de la danse. Reprise de La danseuse malade, du 27 au 30 septembre à l'Espace Libre dans le cadre du Festival international du mime de Montréal.