Jeudi, à la salle Wilfrid-Pelletier, Édouard Lock dévoilait sa nouvelle création, toujours sans titre, à ses fans montréalais. Cette sombre oeuvre s'inspire des mythes antiques de Didon et Énée et d'Orphée et Eurydice. C'est une véritable descente aux enfers que propose le chorégraphe, un ballet en accéléré dont on ressort inassouvi...

Dans cette nouvelle création, l'utilisation de la vitesse, si chère à Lock, atteint son paroxysme. Les danseurs, d'une précision plus chirurgicale et féroce que jamais, s'élancent dans une course effrénée et on assiste à un barrage étourdissant de gestes et de déplacements qui ne se termine qu'une heure et demie plus tard. Encore des êtres évanescents qui frémissent et papillonnent. Encore des danseuses juchées presque en permanence sur pointes, bras et jambes battant l'air, souvent flanquées de danseuses ou de danseurs sculpturaux. Mais ici, tout est encore plus maniaque, plus brusque.

Dans l'omniprésente pénombre, les visages s'évanouissent, le contour des corps se brouille. Le spectateur ne peut que se fier à son instinct pour tenter de saisir ce qui fuit constamment. Lock titille notre inconscient. On peut presque dire que les danseurs se transforment en test de Rorschach vivants, tant la vitesse extrême et les éclairages en clair-obscur altèrent la lisibilité des éléments narratifs que Lock inclus dans cette histoire racontée en accéléré.

S'y croisent ces deux couples d'amoureux déchus que sont Didon et Énée et Orphée et Eurydice. S'y profilent aussi le Cerbère, des guerriers conquérants, les Érinyes, ces déesses de l'enfer que Lock met en scène en utilisant l'idée du corps de ballet, un procédé développé dans Amjad.

En fond de scène, un violoncelliste, un altiste et un saxophoniste déconstruisent la musique des opéras Didon et Énée de Purcell et Orphée et Eurydice de Gluck, tandis que dans la gestuelle imaginée par Lock se profile, ici et là, une pantomime d'une facture nouvelle chez lui, qui rappelle la déférence de la danse baroque.

Comme toujours chez Lock, les parades serrées et véloces sont omniprésentes. Mais cette fois, elles sont teintées de va-et-vient, un motif qui évoque la valse-hésitation entre Didon et son cher Énée. Depuis toujours dans les duos du chorégraphe, les partenaires se tirent l'un vers l'autre, à s'en arracher les bras, mais ici, ils se repoussent aussi, s'éloignent l'un de l'autre, parfois en de sublimes tourbillons inattendus. Autre motif très présent dans cette nouvelle création: se retourner... comme Orphée vers Eurydice.

Comme dans la plupart de ses créations, Lock intègre des interludes filmés. Cette fois, deux écrans juxtaposent danseur jeune et danseur vieillissant. Lock avait d'abord utilisé cette idée dans 2, avec une Louise Lecavalier touchante de vulnérabilité. Dans la nouvelle création, l'effet est moins probant, les «regards» échangés entre les deux écrans étant moins nuancés.

Parmi les performances particulièrement impressionnantes, mentionnons celle de Talia Evtushenko. D'une vivacité phénoménale, elle réussit à clairement évoquer la faille et la vulnérabilité dans ce barrage constant, et disons-le peu à peu lassant pour qui connaît la chanson, de vitesse, de plastique et de technique. Diana Vishneva, célèbre ballerine invitée, et Mi Deng offrent chacune de superbes plages de danse lente et déliée, en contraste bienvenu avec le reste de cette nouvelle oeuvre qu'il faut peut-être voir plus d'une fois pour mieux en apprécier les nuances.

Nouvelle création de La La La Human Steps, ce soir, à 20h, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.