Marc Boivin pointe du doigt un spectateur: «Toi, toi, avec les cheveux courts bruns, les lunettes, le sac sur les genoux... T'as pas d'affaire ici!» Il s'agit du seul moment ouvertement revendicateur du spectacle De la tête au ciel, un trio pour deux interprètes atteintes de nanisme, Nancy Duguay et Valérie Tourangeau, et un danseur de grande taille, Marc Boivin, présenté en ce moment dans le cadre de la série Corps Atypik.

La chorégraphe Catherine Tardif et la conceptrice Diane Leduc n'ont pas tenu à dénoncer directement l'exclusion ou l'obsession du corps «parfait». Elles ont plutôt opté pour la rencontre poétique entre un grand échalas et deux menues demoiselles.

On sent bien toute la tendresse qu'éprouve Catherine Tardif pour ses trois «personnages», elle dont les créations sont souvent peuplées d'êtres attachants, à la frontière du sublime et du ridicule. Il y a de tout cela dans ce trio construit comme une suite de courtes interactions: des vignettes cocasses, d'autres absurdes ou encore certaines qui frôlent le grotesque parce qu'elles suggèrent toute une imagerie circassienne liée aux nains. On en a des échos lorsque Valérie Tourangeau se tient, un long moment, sur la tête, ou lorsque Marc Boivin affuble Nancy Duguay de son grand manteau. Les conceptrices laissent raisonner ces instants de malaise.

Il arrive, par ailleurs, que Catherine Tardif et Diane Leduc détournent ces flashs pour les rendre poétiques. Ainsi, Nancy Duguay et Valérie Tourangeau chaussent, à quelques reprises, des bottes de caoutchouc pour hommes, qui évoquent tout à fait les bottes de sept lieux des contes de fées. Par ailleurs, lorsque Marc Boivin court après Nancy Duguay et Valérie Tourangeau qui lui filent entre les pattes, le «politiquement incorrect» s'évanouit au profit de la bonne blague.

Une part du charme de De la tête au ciel tient des éclairages de Lucie Bazzo et de la musique arrangée par Michel F. Côté. La lumière et l'environnement sonore se transforment sans cesse en gré des vignettes, pour créer des espaces différents, mais toujours intimes, qui aident à ce que chaque tableau prenne rapidement son sens.

Nancy Duguay et Valérie Tourangeau ne sont pas danseuses de formation et elles sont peu habituées à la scène. De la tête au ciel s'ancre donc autour de Marc Boivin, qui agit en maître de cérémonie, amorce les transitions et initie presque toute les interactions. On aurait souhaité quand même que Duguay et Tourangeau prennent plus d'initiative: leur présence tient trop souvent d'un rôle passif.

Par ailleurs, le corps de Boivin sert inévitablement d'étalon physique: on ne peut s'empêcher de comparer l'amplitude du geste ou la souplesse des membres entre le danseur, Nancy Duguay et Valérie Tourangeau. Les différences sont intrigantes, même entre les deux femmes. Cela dit, c'est dans la juxtaposition de ces trois corps que réside inévitablement la surprise et le charme de De la tête au ciel.

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De la tête au ciel. À l'Usine C du 8 au 12 mars, à 18 h.