Dans le petit royaume de Popo, le prince Léonce s'ennuie: il cherche le sens de sa vie, tandis que son père, monarque de pacotille, décide de le marier et que le Conseil d'État veut en faire un digne héritier de la couronne. Dans le royaume voisin de Pipi, la princesse Léna rêve de liberté, elle qui est aussi promise à un inconnu. Chacun de leur côté, Léonce et Léna s'enfuient: ils tomberont amoureux, mais le destin les rattrape.

Le soir de la première de Léonce et Léna, adaptation de la pièce éponyme de Georg Büchner (1813-1837) par les Grands Ballets canadiens, la distribution s'est avérée agile et comique. Le roi, interprété par Marcin Kaczorowski, est niais et absent à souhait; Léonce (Hervé Courtain) est parfaitement morose et son camarade Valério, impertinent à la limite de la fourberie. Par ailleurs, le Conseil d'État, poudré et «perruqué» comme il se doit, se meut en tas prosterné. On aime particulièrement Alisia Pobega dans le rôle de Rosetta, maîtresse de Léonce, avec sa bouche en cul-de-poule. La scénographie, orchestrée autour d'une partition mobile, rend bien un certain onirisme et les costumes sont fantaisistes. L'intégration de chansons pop comme Let's Do It, Let's Fall in Love (1928) ou A Little Bitty Tear (1961) offre de savoureux moments d'anachronisme.

Cela dit, de son propre aveu, le chorégraphe Christian Spuck a choisi de ne pas insister sur le discours politique qui sous-tend Léonce et Léna. Ce discours est pourtant le moteur même de cette comédie acerbe que l'auteur de Woyzeck aurait écrite sous le coup de la haine provoquée par le mariage, en 1833, de Louis de Hesse avec la princesse Mathilde de Bavière, célébré avec faste aux dépens d'un peuple indigent.

Or, le chorégraphe s'en tient au registre de la bouffonnerie et n'illustre la charge satirique de Büchner contre un pouvoir absolu qu'à grands coups de gestuelle cassée, misant sur une énergie maniaque qui ne s'estompe quasiment jamais et sur un incessant usage de cymbales et de timbales (vivement les duos plus romantiques entre Léonce et Léna pour des moments de répit!). À la première, en tout cas, tout ça manquait cruellement de nuances... et de subversion. Léonce et Léna ne devient ici que quiproquo amoureux.

En y allant de la simple caricature des personnages au pouvoir, Spuck - adepte de l'intégration de textes dans ses créations, procédé qu'il dit avoir cette fois évité - ne rend pas toute la finesse des répliques de la pièce de théâtre, remplies d'ironie et souvent cruelles en dépit de leur ton badin. Une des rares scènes à bien capter ce contrepoint: tandis que Léonce et Léna gambadent l'un en direction de l'autre, des paysans, à peine visibles en fond de scène, courbent l'échine.

Cette version de Léonce et Léna se situe donc dans le registre du divertissement, ce que souhaitait Spuck. Fort joli, soit, mais ce spectacle qui a plu le soir de la première et qui continuera certainement de plaire ne laisse pas d'impression durable.

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Léonce et Léna au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, jusqu'au 6 novembre.