Les Grands Ballets canadiens de Montréal placent leur nouvelle saison sous le signe de la prise de risque et du voyage. Plusieurs découvertes inédites, dont trois chorégraphes allemands qui incarnent l'actuelle avant-garde reconnue comme telle en Europe et ailleurs. Christian Spuck donne le coup d'envoi le 21 octobre avec Léonce et Léna.

En entrevue à l'Institut Goethe, qui a soutenu les Grands Ballets autant dans l'investissement que dans l'innovation d'une saison à dominante allemande, Christian Spuck démontre une vision vaste et assez iconoclaste de la danse: « Enfant, j'étais mauvais en tout, dit-il sans rire, longtemps je n'ai eu aucune vision de mon avenir et encore moins une vocation. «

Et puis, il aperçoit un ballet à la télévision allemande et la foudre le frappe. Né en 1969 dans la ville universitaire de Marburg, dans l'Hesse, il démythifie d'emblée l'idée que l'on doive très tôt être rompu à la danse pour en faire son métier. Lui, a commencé à 17 ans et s'est tout de même retrouvé danseur chez Anne-Teresa de Keersmaeker, que nul pourtant ne soupçonnera de manquer d'exigence. « Ma connaissance musicale était très développée, poursuit-il, c'était ainsi dans ma famille.»

Et puis, cela se passe en Allemagne, immense pays de musique, de littérature, de philosophie, mais aussi de danse. Dans l'histoire mondiale de la danse, l'Allemagne, depuis deux siècles, tient une place privilégiée. Après une influence déterminante sur le ballet romantique, elle invente la notation chorégraphique avec Rudolf Von Laban, puis l'ausdrücktanz, l'expressionnisme fondé par Mary Wigman, dont Pina Bausch a été l'incarnation la plus connue. Spuck cite d'ailleurs Pina Bausch parmi ses influences principales.

Une nouvelle génération de chorégraphes émerge dans les années 90 et Christian Spuck, comme Sasha Waltz ou Marco Goecke, en fait partie. Depuis 1996, il a créé une trentaine de ballets pour le Ballet de Stuttgart, mais aussi pour plusieurs grandes compagnies internationales en Europe et aux États-Unis. Il a reçu le prix Future en 2006 et prendra la direction artistique du Ballet de Zürich en 2012.

Mais qu'a donc de spécifique la danse allemande ? « C'est une danse-théâtre, analyse Spuck, avec de la profondeur et une vision du monde.» En effet, la rigueur esthétique y est toujours de pair avec une intrinsèque quête de sens. «J'aimerais que le public, en rentrant chez lui, ait envie d'approfondir la découverte du livre ou du compositeur dans mes pièces. «

Cela peut s'appliquer à Léonce et Léna, oeuvre écrite en 1836 par Georg Büchner (également l'auteur de Woyzeck). Loin du romantisme, les positions critiques de Büchner vis-à-vis d'une société de classes lui valent de devoir s'exiler de son pays pour échapper à un mandat d'arrêt. Il succombera au typhus en 1837, en Suisse, à l'âge de 23 ans. Pas un auteur, a priori, pour inspirer un ballet.

« Je n'ai pas voulu exalter l'aspect politique, dit Christian Spuck. Au contraire, j'en ai fait un ballet drôle, narratif comme toutes mes dernières oeuvres, en portant une attention majeure à l'esthétique.»

Des péripéties amoureuses de Léna, princesse du minuscule royaume de Pipi et Léonce, prince de la microscopique principauté voisine de Popo, Spuck a choisi de faire une oeuvre satirico-comique. Le ballet, créé à l'Aalto Ballet Theater d'Essen en avril 2008, a partout été salué pour la fascinante beauté qui s'en dégage et exalte les sens. Une ambiance en noir, rouge et blanc, des costumes et des décors magnifiques signés Emma Ryott, une architecture de l'espace, une abondance de musiques de Strauss, Zimmermann, Donner, Schnittke, Ponchielli et Delibes.

Et puis, il y a les danseurs. Ne connaissant pas les Grands Ballets avant cette première collaboration, le chorégraphe ne tarit pas d'éloges à leur sujet : « La pièce sera meilleure qu'au moment de sa création, affirme-t-il. Non seulement ils sont techniquement très forts, mais ils ont une véritable ouverture, un éclectisme et une compréhension humaine et artistique. Je suis vraiment très chanceux d'être à Montréal pour remonter cette pièce. J'espère que le public se laissera porter par cette histoire.»

Léonce et Léna, de Christian Spuck pour les Grands Ballets canadiens de Montréal, les 21, 22, 23, 28 et 30 octobre, 20h, au Théâtre Maisonneuve.