«Ah oui, bien sûr, le Théâtre de la Ville pour la danse contemporaine, c'est un peu l'équivalent de la Scala de Milan pour l'opéra», lâche au passage Marie Chouinard, mais sans en faire toute une histoire. Elle est venue quelques jours à Paris à l'occasion de ces sept représentations de son Orphée et Eurydice, mais abandonne sa troupe à sa tournée européenne pour rentrer à Montréal.

«Je suis en train de préparer ma prochaine chorégraphie, où je monterai moi-même sur scène. J'ai beaucoup de travail, et la troupe se débrouille merveilleusement sans moi. Après Paris, les danseurs partent en Espagne, où ils donneront en alternance Orphée, Body Remix et le Sacre du printemps. Je ne peux pas les suivre partout, car il y a des tournées presque permanentes en Europe et en Amérique.»

Marie Chouinard a dansé au prestigieux centre Pompidou dès le début des années 90. Elle a fait les grands festivals, Montpellier-danse et la Biennale de Venise. Elle s'est déjà produite trois fois au Théâtre de la Ville. En Allemagne, en Italie, en Espagne ou en France, Marie Chouinard est pour ainsi dire en terrain conquis. En tout cas chez elle.

Hier soir, dans une salle remplie à craquer, et qui a chaleureusement applaudi les danseurs et la chorégraphe, il y avait le public habituel des aficionados. Au milieu duquel on apercevait quelques «personnalités», dont la célèbre chorégraphe américaine Carolyn Carlson: «Oui, c'est une très bonne amie.» La routine ou presque.

Sept représentations dans cette salle de 1000 places devenue au fil des années une sorte de Mecque de la danse contemporaine pour l'Europe, cela ressemble pourtant à une vraie consécration: «Il y a beaucoup d'artistes moins connus qui se limitent à deux ou trois soirs. Pour les sept représentations de Marie, c'est pratiquement déjà complet», dit-on au Théâtre de la Ville.

Une valeur sûre

Marie Chouinard fait désormais partie des valeurs sûres. Pas tout à fait au niveau des vedettes comme Pina Bausch ou Sascha Waltz, qui jouent à guichets fermés 15 soirs ou davantage. Mais pas très loin: Marie Chouinard fait partie de la douzaine de chorégraphes qui peuvent tourner à longueur d'année dans toutes les grandes villes d'Europe.

Un «marché» qu'elle connaît maintenant sur le bout des doigts: «Il est probable, dit-elle avec précision, que l'Allemagne soit aujourd'hui le pays le plus important pour ce qui est de la création et de la nouveauté. Mais Paris et la France restent sans doute le premier lieu pour la consommation de spectacles de danse. Il doit y avoir à Paris 10000 mordus de danse contemporaine, et c'est ceux-là qu'il faut toucher.» Avec ce spectacle programmé jusqu'au 19 mai, elle n'est pas loin de réaliser son souhait.

Dans le public, il n'y avait quand même pas que des spécialistes avertis. Ainsi cette femme qui, au cocktail d'après spectacle, félicitait la chorégraphe impassible: «Je n'ai jamais autant ri à une version d'Orphée et Eurydice!» Ou ces quatre jeunes femmes, qui ont quitté la salle en milieu de spectacle: elles s'attendaient peut-être à un ballet presque classique sur une musique de Gluck. Elles n'avaient pas lu l'avis (enthousiaste) du Figaro: «C'est une bacchanale, sur une musique de Louis Dufort, agrémentée de cris. Oui il faut y aller! Pour le choc des images, les surprises iconoclastes. Âmes sensibles s'abstenir.»

Mais ce haut lieu de la danse a pour l'essentiel un public d'habitués (et une moitié d'abonnés). C'est-à-dire de vrais connaisseurs de l'avant-garde qui ne risquaient pas de s'offusquer des audaces de Marie Chouinard, danseurs en talons aiguilles pourvus de gigantesques sexes en plastique, scènes de copulation, cris venus de l'époque des cavernes. Le tout servi par une bande-son et un éclairage remarquables.

«Je connais bien le travail de Marie Chouinard, et depuis des années, dit l'un de ces mordus. J'ai bien aimé ce spectacle, les éclairages, le son, l'énergie, mais je ne suis pas tout à fait entré dans son propos. Pour tout dire, j'ai préféré Body Remix, avec ses histoires de béquilles, de prothèses.» En somme, on aurait plutôt reproché à ce dernier opus de choquer moins que le précédent.

On devrait en savoir un peu plus dans les jours qui viennent: il y avait hier soir dans la salle rien de moins que les représentants du Monde et de Libération, ce qui ne se voit pas à tous les spectacles, surtout de danse contemporaine. Une petite consécration en soi.