Deux ans jour pour jour après la première, Édouard Lock revient à Montréal, à l'invitation de Danse Danse, présenter Amjad après une tournée de 54 étapes internationales. Une trajectoire idéale et l'occasion pour le chorégraphe de faire le bilan à la croisée des chemins.

Fin avril 2007, il créait Amjad à la Place des Arts, devenue rampe de lancement pour propulser cette oeuvre dans le monde. Fin avril 2009, revenue de sa tournée, la compagnie La La La Human Steps reprend les répétitions pour présenter Amjad une ultime fois à la Place des Arts. Boucle parfaite pour une tournée triomphale que le chorégraphe a faite presque au complet: «Il reste une certaine impression d'anonymat. Le bain de foule est énorme pendant deux ans, mais on ne voit jamais ces milliers de spectateurs. Les tournées, parce qu'on est tout le temps en mouvement, autant que la création, où l'on est tout le temps enfermé en soi et en studio, sont humainement très difficiles à vivre. Je suis satisfait de cette tournée, mais il était temps que ça s'arrête.»

 

Amjad est-elle toujours la même pièce? «D'abord, c'est une pièce complexe, au sens où on ne peut saisir en une fois toutes les interprétations possibles. Assis avec le public, j'ai vu Amjad dire certaines choses un soir, et d'autres choses un autre soir. En deux ans, la pièce a beaucoup évolué: ce sont d'abord les danseurs qui la font évoluer, soir après soir, geste par geste, ça se fait très lentement, mais pour quelqu'un qui revoit la pièce deux ans après, la mutation est manifeste.»

Rappel: Amjad est née du désir de son créateur de revisiter son souvenir de pièces majeures du répertoire classique, Le lac des cygnes et La belle au bois dormant, sur des musiques de Tchaïkovski. Pièce intime, mélancolique, pour neuf sublimes interprètes, un travail de bras à couper le souffle, des jambes comme des équerres ou des coups de sabre, des duos et des trios iconoclastes, Lock y sonde l'envers des archétypes. Il confie la partie arts visuels à Armand Vaillancourt et demande au compositeur Gavin Bryars de réinterpréter la musique originale. Amjad offre une expérience esthétique inoubliable qui s'imbibe dans la mémoire visuelle et émotive. Justement. Il s'agissait pour Lock d'un travail sur la mémoire: «La danse est essentiellement un art du souvenir. On ne peut pas comme avec un livre se référer au texte, on ne peut que se reporter à ce dont on se souvient. Avec le Lac des cygnes et La belle au bois dormant, il s'agit d'une mémoire collective qui appartient au patrimoine mondial. Je trouvais intéressant de confronter ici souvenir individuel et mémoire collective.»

Après le 2 mai, Amjad s'en ira rejoindre le répertoire du créateur. Lequel est déjà tourné vers la suite: «Il faut savoir rejeter ce qu'on a créé pour se projeter dans un lieu inconnu. C'est le processus d'évolution d'une carrière. Je suis déjà dans une nouvelle pièce, oui, mais je n'ai pas encore l'accord de toutes les personnes impliquées, alors je préfère ne pas trop en parler.» Chaque nouvelle pièce naît-elle de la faille de la précédente? «Oui, même si je ne sais pas vraiment comment. La création vient d'une écoute, d'une synthèse des éléments qui nous entourent, un état de captation vague et non linéaire. Une sorte de dialogue avec le vent. À l'opposé du processus directif qui suit lorsque l'on passe concrètement à l'écriture chorégraphique.» Il n'en est pas là. Pour l'instant, il est dans l'entre-deux. Le titre, en tout cas, sera encore un prénom féminin en A: «Je passerai à la lettre B dans ma prochaine vie!» dit-il en riant.

Investir dans l'international

Pas question pour lui de finir sur une esquive. Au moment où se tiennent les états généraux de la danse et alors qu'Édouard Lock se réjouit de l'arrivée à la direction administrative de la compagnie d'Anik Bissonnette, elle-même depuis longtemps engagée dans le milieu, il revient sur les coupes de subventions aux tournées à l'étranger. Il sait de quoi il parle puisque cette année, Amjad n'a pu être présentée en Italie que parce que les théâtres italiens ont payé la part qui manquait. Situation inconcevable: «Être un pays exportateur ou importateur de création, il faut faire son choix! Si la danse québécoise est tellement sollicitée à l'étranger, c'est qu'elle a construit une identité forte, les diffuseurs étrangers nous invitent parce qu'ils n'ont rien d'équivalent chez eux. C'est comme si nous avions des produits d'exception reconnus et que nous refusions de les mettre en magasin!» Voilà qui est dit. Édouard Lock cherche le vent, mais demeure un intellectuel engagé.

Amjad, La La La Human Steps, du 30 avril au 2 mai, 20h, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.