Les créateurs passent des années à se former pour pouvoir exercer leur art et puis, un jour, cette formation devient un formatage qui finit par scléroser la création elle-même. Constatant ce processus immuable, la chorégraphe Line Nault et ses acolytes ont décidé de prendre les moyens pour réinventer l'absolu. Tout un pari.

Des moyens, donc, pour changer la donne, et pas les moindres: «Ma formation en somatique m'a appris que tout est dans le corps. Le corps garde toute la mémoire sensorimotrice de nos acquis et de notre savoir. Dès qu'on se met à bouger, il restitue ce que des années de pratique et de discipline lui ont fait emmagasiner. Dans ce projet, mon but était de chercher le mouvement libre de tout, l'absolu, à partir d'une réorganisation et une redirection des savoirs acquis.»

Conceptrice et directrice du projet en plus d'en être l'une des interprètes, elle a fait de La problématique de l'erreur une trilogie dont elle présente à Tangente le premier volet baptisé À partir d'un tronc commun. C'est un jeu de mots parce qu'il s'agit à la fois d'un travail sur le tronc du corps, la danse étant concentrée sur la partie haute, de la taille aux épaules, mais aussi parce que ses acolytes et elle partagent un tronc commun, c'est-à-dire des bases communes: une vision de l'utilisation de la technologie et de l'image en danse, une nouvelle vision et utilisation du piano, et une interface commune, centrale et essentielle dans le processus: Golden, un logiciel de génie créé pour la pièce par un informaticien non moins génial, Alexandre Burton, celui-là même qui travaille avec un autre chorégraphe-interprète qui crée à l'aide des nouvelles technologies, Stéphane Gladyszewski.

«Avec Alexandre (Burton), nous avons créé ce logiciel en prévoyant sept situations, dont cinq différentes. À partir de cette interface commune et selon l'interaction que nous avons sur nos créations respectives, tout bouge en direct sur scène. Ainsi, chacun des trois interprètes altère les créations des deux autres pour former une chorégraphie nouvelle, commune et inédite, qui change à chaque représentation puisque tout se fait en temps réel.»

Outre Alexandre Burton, qui reste en retrait de la scène, deux autres interprètes et créateurs se joignent à Line Nault sur scène: la photographe Janicke Morissette, qui est ici scénographe et danseuse, et Éric Forget, musicien et concepteur sonore qui signe la partition musicale tout en bougeant lui aussi. Également présents dans le processus global: Guy Cools, dramaturge bien connu qui a offert son oeil extérieur pour amalgamer le tout, et Viviane Paradis, qui suit toute l'aventure de La problématique de l'erreur dans le but d'en faire un livre avec textes et photos. Un spectacle sophistiqué et exigeant, plein de surprises et d'imprévisible, exactement comme le souhaitait Line Nault lorsqu'elle cherchait à sortir du prévisible qu'impose le formatage du savoir.

Retour en salle

Pour Line Nault, il s'agit aussi d'un retour en salle, à l'espace traditionnel et attendu de la scène, même si l'inattendu de la pièce crée une interaction inédite avec le public. Après avoir été interprète pour de nombreux chorégraphes (Lynda Gaudreau, Manon Oligny, Benoît Lachambre, Marie-Claude Poulin, Martin Bélanger, Brigitte Haentjens, Louis Champagne, etc.), elle promène depuis deux ans son installation chorégraphique Kitmobile, femme avec bagages magiques dans les festivals, mais aussi dans les lieux urbains les plus incongrus, là où le public ne l'attend pas.

«C'est bien de revenir en salle, dit-elle. J'apprécie de retrouver un public qui vient à une heure précise, dans un lieu précis, dans le but de voir mon spectacle au lieu que ce soit moi qui aille le déranger dans des lieux de non-danse où il ne m'attend pas. J'ai l'impression de revenir à la maison.»

Au cours du même programme, on pourra également découvrir OP1, autre conception du rapport danse/technologie par la compagnie brésilienne Cia Phila7. Une soirée méta/physique.

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À partir d'un tronc commun, de Line Nault, et OP1, de Cia Phila7, à Tangente du 23 au 26 avril.