«Une thèse sur les pieds des anges dans la Renaissance comme prétexte pour aborder la mort d'un frère suicidé.» La fantaisiste proposition est d'Évelyne de la Chenelière, auteure qui fait pirouetter sa plume entre saltos intellectuels et cabrioles d'autodérision.

La danse sociale, incidemment, est au coeur des Pieds des anges, sa dernière création. Les comédiennes Enrica Boucher et Sophie Cadieux y défendent toutes les deux Marie, le personnage principal. 

La première est une sémillante brunette à la voix distinctive, que s'arrachent tous les metteurs en scène de la ville. La seconde (qui ne tardera guère à être autant sollicitée) s'est fait un nom (et une réputation!) dans le rôle de l'inoubliable MC à la dent sucrée d'Un peu de tendresse bordel de merde, de Dave St-Pierre.

Sophie Cadieux et Enrica Boucher, dans Les pieds des anges, sont les deux têtes d'une même Marie, doctorante amante de salsa, issue de l'imaginaire d'Évelyne de la Chenelière.

«Marie défend une thèse sur les pieds des anges dans la Renaissance. Mais en fait, cela est un prétexte pour aborder la mort de son frère, qui s'est suicidé quand elle était enfant. On s'aperçoit dans la pièce qu'en se concentrant sur un détail, sur la beauté d'un sujet qui semble abstrait, Marie fait surgir un questionnement sur sa façon de gérer le deuil», avance Enrica Boucher, que je rencontre avec Sophie Cadieux dans les bureaux d'Espace GO.

Les deux jeunes femmes se relaient pour reconstituer les étapes de ce projet aussi étrange que stimulant. J'apprends que lorsqu'elles ont été approchées pour jouer dans Les pieds des anges, pas une seule ligne n'avait encore été écrite. «La première chose qu'on m'a dite, c'est qu'Évelyne voulait faire une pièce sur la danse sociale et le technicolor», rapporte Sophie Cadieu, le plus sérieusement du monde.

Boucher et Cadieux, tout comme les sept autres acteurs qui se retrouveront dans le décor minimaliste des Pieds des anges, se sont ainsi prêtées au jeu de la création sans filet. «Après Désordre public (en 2006), Alice (Ronfard) et Évelyne se sont relancées et accompagnées avec différentes idées. C'est ainsi que Ginette (Noiseux) les a invitées à revenir à l'Espace GO avec une nouvelle création», raconte Sophie Cadieux, qui était aussi de la distribution de Désordre public.

Un ange à deux têtes

Les pieds des anges, poursuit Cadieux, est un objet à la facture totalement théâtrale, conçu avec des procédés cinématographiques. La pièce est construite de 50 scènes courtes, dont plusieurs ne durent même pas une minute.

En dédoublant le personnage principal de Marie dans le corps de deux actrices au physique très différent, de la Chenelière joue avec la notion de double, à la manière de I'm Not There de Todd Haynes. «Chacune prend des facettes du personnage, pour se permettre de prendre un regard l'une sur l'autre. J'incarne des scènes plus «quotidiennes» de Marie, tandis qu'Enrica est celle qui défend la thèse», révèle Sophie Cadieux.

Dans le même esprit que Désordre public, Les pieds des anges est porté par l'esprit de collégialité d'un groupe d'acteurs qui fourmillent sur la scène de l'Espace GO. À l'académisme de la thèse sur la Renaissance, de la Chenelière a juxtaposé une classe de salsa et un plateau de tournage d'un remake américain de Hamlet.

Laissés à eux-mêmes sur une scène épurée, les acteurs prennent sur leurs épaules la charge de faire vivre le produit de la rencontre créative entre Ronfard et de la Chenelière. «C'est vertigineux. Parce qu'on n'a pas d'autres assises que l'univers qui a été forgé au cours des dernières semaines», confie Enrica Boucher.

Qui sait si les pieds des anges, entre deux steppettes de salsa, nous mèneront vers une révélation sublime sur le sens de la vie et du deuil...

Entrée en scène

> Le bruit des os qui craquent, au Théâtre d'Aujourd'hui, du 31 mars au 25 avril.

> Je ne pensais pas que ce serait sucré, au Prospero, du 31 mars au 18 avril.

> Les pieds des anges, à Espace GO, du 31 mars au 25 avril.

> Le songe d'une nuit d'été, à la salle Fred-Barry, du 31 mars au 18 avril.