Après Noces et Cendrillon, le chorégraphe Stijn Celis revient aux Grands Ballets canadiens de Montréal avec Le Sacre du printemps. Une vision inédite où il revisite un incontournable du ballet contemporain, histoire de fêter dignement le retour du printemps.

Vaslav Nijinski est un mythe de l'histoire mondiale de la danse. Deux des ballets qu'il a créés au début du XXe siècle, pour les Ballets russes, Prélude à l'après-midi d'une faune et Le Sacre du printemps, sont restés des références que nul ne peut ignorer. Le Sacre du printemps, inspiré de la Russie païenne sur la musique d'Igor Stravinsky, créé le 29 mai 1913 au théâtre des Champs-Élysées, à Paris, véhicule depuis lors un parfum de scandale.

 

Pourquoi? À cause de sa charge délibérément libidinale qui n'en finit pas de fasciner les chorégraphes qui, tour à tour au cours du siècle, se sont mesurés à cette oeuvre monumentale. Des chorégraphes, et pas n'importe lesquels, de Mary Wigman à Maurice Béjart, de Pina Bausch à Paul Taylor, d'Angelin Preljocaj à Mats Ek et Marie Chouinard, plus d'une dizaine de versions ont achevé de rendre l'oeuvre mythique et, du coup, le défi encore plus élevé.

C'est au tour de Stijn Celis. Le chorégraphe belge met lui aussi en mouvement son interprétation de l'oeuvre de Stravinsky, sur la musique duquel il avait déjà créé Noces. Une belle aventure, osée et magistrale, qui est aussi la seule création originale de la compagnie en ce printemps 2009.

L'envers des apparences

«Comme toujours, je suis parti de la musique, raconte Stijn Celis. J'ai moi-même dansé Le Sacre pour le Ballet Cullberg, puis j'ai créé une première version du ballet pour deux pianos pour ma propre compagnie à Berne (Suisse). Gradimir (Pankov) a vu cette version et m'a proposé de créer une oeuvre complètement différente pour les GBCM, cette fois avec orchestre. C'est toujours un défi très tentant.»

Celis est un chorégraphe subtil, inspiré de lectures philosophiques et porté vers une lecture de l'envers du décor, des oeuvres, et des êtres. Il cite Spinoza et Jung autant que le roman d'Horace McCoy They Shoot Horses, Dont' They? , dont Sydney Pollack a tiré un film en 1969, pour dire les influences intellectuelles et artistiques qui ont accompagné cette dernière création.

Chez Celis, l'analyse collective et la critique sociologique sont présentes. Noces offrait une critique du rituel social du mariage, Cendrillon plonge dans la complexité des rapports d'identification mère-fille. Le thème de la polarité masculin-féminin est toujours présent: «Le geste est l'expression originelle de l'être, dit-il, moi, j'utilise la danse pour révéler l'inconscient personnel et collectif.» Disons, sans nous attarder, que son parcours familial lourd - la douleur de la vie de sa mère, de sa soeur, le suicide de son père -, lui a donné le goût, et la capacité, de lire derrière les apparences. Appliquée à la danse, cette sensibilité singulière rend ses pièces fascinantes et pleines de rhizomes de sens qu'il transmet au spectateur par la gestuelle.

Le sacrifice de la différence

Quand on s'attaque au Sacre, on doit faire des choix. Il y a la force de la musique, sa rythmique, son accélération progressive et palpitante, ses deux thèmes païens qui sont l'adoration de la terre et le sacrifice. On peut aborder le tout de façon métaphysique, ou narrative, concrète ou abstraite, mettre en avant ou non la charge sexuelle. «La force libidinale est évidente, dit-il, je n'ai pas voulu la doubler. Je me suis concentré sur le rythme et sur le geste. J'ai évité les scènes d'accouplement comme on en voit toujours dans Le Sacre. Et j'ai voulu beaucoup de beauté, une grande épure pour qu'on ne voie pas que le discours social.»

Discours social qui pourtant existe. Chez Celis, le sacrifice est celui que la société formatée impose à quiconque voudrait imposer son individualité, son imperfection, voire sa folie. Souvent dans Le Sacre, la femme incarne à la fois la terre-mère et l'objet du désir. Dans son Sacre, elle est l'objet du rejet, parce que socialement plus vulnérable. «Le printemps, c'est le retour du soleil, dit-il, mais ceux que le soleil n'éclaire pas sont à l'ombre, rejetés. Pour solidifier l'identité du groupe, celui-ci éjecte ceux qui sont incompatibles. Néanmoins, j'ai exalté ici le triomphe du cycle, du changement, auquel nous sommes tous soumis. C'est la pulsation de la vie, qui se rejoue éternellement.» Cette création de Stijn Celis dure une trentaine de minutes et en deuxième partie de soirée, les GBCM reprendront l'oeuvre de Shen Wei, RE-,II.

Le Sacre du printemps, de Stijn Celis, et RE-,II, de Shen Wei, pour les GBCM, du 26 au 28 mars, et du 2 au 4 avril, au Théâtre Maisonneuve.