Après avoir révolutionné le milieu de la danse à Québec, la chorégraphe Karine Ledoyen présente sa nouvelle pièce Cibler à l'Agora de la danse du 18 au 21 mars. Retour sur la carrière fulgurante d'une jeune artiste visionnaire et déterminée.

Karine Ledoyen est native de Saint-Pamphile, à 45 minutes de Saint-Jean-Port-Joli, dans les terres: «C'est là qu'il y a le célèbre festival de bûcheux!» précise-t-elle en riant. Une façon de dire que rien, a priori, ne la prédestinait à la danse contemporaine. Rien sinon sa détermination, sa passion des voyages et des rencontres, et une foi à déplacer les montagnes. Ça fait beaucoup, et ça a fait la différence.

 

En 2001, elle s'était donné cinq ans pour réussir ou faire autre chose. Huit ans plus tard, à presque 33 ans, elle n'en revient pas d'avoir accompli tant de choses autour de la danse dans la ville de Québec et sa région. Il faut dire qu'elle revient de loin. Elle raconte: «Quand j'ai eu mon diplôme en 1999, c'était épeurant. Il n'y avait aucune possibilité d'exercer son métier là. Il fallait partir.»

Direction la France, à Grenoble, au coeur d'un milieu de danse bouillonnant, structuré, bien financé. Elle est embauchée par deux compagnies et, au bout d'un an et demi, se voit offrir un contrat de quatre ans. Un rêve pour plusieurs, mais pas pour elle: «Québec me manquait trop, beaucoup de choses me dérangeaient, comme la hiérarchie rigide qui m'empêchait de tenter mes propres chorégraphies. J'ai refusé l'offre et je suis rentrée à Montréal. Et puis, lors d'une fin de semaine à Québec, j'ai vu mes amis d'avant, on a échafaudé des projets et on a décidé de retrousser nos manches et de créer nous-mêmes ce qui n'existait pas. J'ai ramassé mes valises et je suis retournée à Québec. Et c'était fait.»

Qui n'ose rien n'a rien

On est en 2001-2002. À Québec, le contexte a évolué, surtout grâce à Harold Rhéaume et sa compagnie Le fils d'Adrien danse. Ils inaugurent une fructueuse collaboration. Karine dansera pour Harold jusqu'en 2006. En parallèle, elle crée ses propres pièces et, en 2002, lance Osez, un événement chorégraphique estival qui, avec les années, prend une ampleur internationale: «Mon idée était d'amener des chorégraphes dans ma région, alors que c'était toujours l'inverse qui se passait, pour créer des pièces sur les quais de Saint-Jean-Port-Joli. Entre 2002 et 2008, on a fait venir 10 chorégraphes et fait danser quelque 100 à 150 danseurs devant un public médusé.» En 2008, Osez se transporte même à l'étranger, à Bruxelles et à Newport, au pays de Galles. Et à l'été 2009, ce sont 30 danseurs de partout, des Polonais, des Belges, des Français, qui viendront faire Osez chez nous, à Québec et à Gaspé.» Ça ne manque pas d'envergure.

Québec-Montréal

L'an dernier, la Société du 400e a commandé à Karine Ledoyen un immense spectacle gratuit et grand public, au Bassin Louise, présenté chaque soir juste avant le Moulin à images de Robert Lepage. Elle crée Gonflez l'histoire, un spectacle fou et coloré sur le thème de l'air et de la mémoire, avec des ballons, huit danseurs, des musiciens et des artistes visuels. Des images-chocs qui émerveillent les enfants et les parents: «On a eu les moyens de bien s'amuser!» dit-elle, le sourire dans la voix.

Huit ans après ses débuts, elle souligne combien le public de danse a évolué à Québec. La ville est devenue un lieu in pour les tournées de chorégraphes, avec des spectacles joués à guichets fermés: «On a énormément travaillé à développer le public et on a aujourd'hui une vraie fierté devant cet accomplissement. Ça s'est fait avec les gens du théâtre de création et on a développé une souche de public différente de celle de Montréal.»

Montréal, nous y voilà. Elle vient présenter sa dernière pièce, Cibler, à l'Agora de la danse. Une pièce pour trois danseuses et une comédienne tout à fait hors de ce qu'on savait déjà d'elle: «On me connaît pour ma dérision, mon côté léger, rigolo, coloré, ludique. Mais c'est un réflexe de fuite aussi, un besoin de dédramatiser. Avec Cibler, je me suis astreinte à parler des vraies affaires - de la mort, de ceux qui restent lorsqu'un proche s'en va.» Elle ne cache pas que la pièce est venue après le suicide d'un ami en 2005. L'onde de choc provoquée par le drame a bouleversé son cercle d'amis: «La cible, c'est la mort. Dans Cibler, je parle de la résonance autour de l'épicentre de la cible, ceux qui doivent se battre pour rester vivants et continuer.» Une pièce dense portée par une énergie combative, à l'image de la chorégraphe pleine de talent.

Cibler, de Karine Ledoyen, du 18 au 21 mars à l'Agora de la danse.