En cinq ans, Philippe Cohen a transformé une compagnie moribonde en une compagnie de premier plan, avec rigueur et éclectisme. Une recette efficace qui ressemble à celle appliquée par Gradimir Pankov aux Grands Ballets de Montréal. Et pas par hasard... Rencontre avec une compagnie étonnante, pour la première fois à Montréal.

Au téléphone, la voix de Philippe Cohen est chaleureuse: «Oui, dit-il, j'ai réussi là où Gradimir avait voulu le faire, mais ce n'était peut-être pas le bon moment pour lui.» Retour en arrière. En 2003, Philippe Cohen, alors directeur du Ballet de Lyon, longtemps directeur du Conservatoire de Lyon et du Centre national dramatique d'Angers, accepte de reprendre le Ballet du Grand Théâtre de Genève, compagnie classique à l'histoire longue, mais qui s'essoufflait et perdait de l'argent au point d'envisager sa dissolution. Sachant que Gradimir Pankov, ayant essayé de rénover la compagnie sans succès, avait accepté l'aventure des GBCM, il décide de prendre le Ballet de Genève par les cornes.

 

«C'était une compagnie de répertoire, avec des interprètes de qualité mais qui, progressivement, avait perdu son identité. On y présentait toujours les oeuvres des trois mêmes chorégraphes, Kyliàn, Ek, Forsythe, plus Balanchine, mais d'autres compagnies font déjà ça très bien. Notamment, et avec un grand succès, le Ballet de Lyon, situé à seulement 150 km de Genève. Il fallait donc retrouver une identité spécifique. J'ai lancé une politique de création tous azimuts, sans chapelle, en faisant appel à des chorégraphes audacieux pour redynamiser la compagnie.»

La star, c'est la compagnie

N'avoir plus rien à perdre procure une liberté formidable: «À la Ville de Genève comme aux 22 interprètes, j'ai dit: dans un an, nous serons peut-être tous au chômage, alors je vous propose le risque.» Tout un risque! Cohen appelle le chorégraphe Gilles Jobin, virtuose du minimalisme abstrait, sans concession. Les danseurs de formation classique ont appris à se traîner au sol et à marcher à quatre pattes. Deux ou trois danseurs sont partis, mais la plupart ont relevé le défi et se sont découvert des talents inconnus. «D'un seul coup, tout le monde a parlé du Ballet de Genève! dit Philippe Cohen. La compagnie était ressuscitée.» Dans la foulée, il commande d'autres pièces d'avant-garde et d'une création à l'autre, la compagnie remplit son carnet de commandes et reprend les tournées.

«Pas de stars chez nous, poursuit Cohen. Moi, ce qui me touche, c'est l'humanisme et l'humilité des gens sur scène. Je privilégie l'esprit de troupe, la solidarité d'individus autonomes et généreux. La star, c'est la compagnie.» Il est vrai que les stars ont disparu du milieu de la danse et même, ce qui n'est pas peu dire, de l'Opéra de Paris, où Brigitte Lefebvre a effectué une véritable révolution à ce niveau. Encore une fois, le parallèle s'impose avec Gradimir Pankov qui, lui aussi, a transformé les GBCM en compagnie de création contemporaine, haussé le niveau d'exigence technique et de capacité d'interprétation, est allé chercher des danseurs et des chorégraphes à l'international, et a mis la troupe, plutôt qu'un seul interprète, de l'avant. Aux GBCM aussi, ceux qui n'étaient pas d'accord ou ne se sentaient pas d'attaque sont partis.

Trois chorégraphes gagnants

Le Ballet de Genève, en guise de démonstration de son éclectisme, nous arrive donc avec un programme triple signé Saburo Teshigawara, Andonis Foniadakis et Sidi Larbi Cherkaoui. Trois chorégraphes adulés et typés, avec un certain fond d'universalisme humaniste et de spiritualité. «Chacun développe une qualité bien précise, explique Cohen. Teshigawara, c'est une méditation lente et poétique, un rapport au temps complètement japonais qui met dans un état particulier. À l'opposé, Foniadakis exalte le désir, dans une pièce ultra physique et virtuose, une sorte de transe bacchanale et païenne. Cherkaoui enfin, avec son universalisme, son mélange savant de la parole et du chant a cappella, avec 22 danseurs sur scène.» Il ajoute: «Je sais le public montréalais exigeant et éduqué, alors on va voir.» Le rendez-vous est pris: on va voir ce qu'on va voir.

Le Ballet du Grand Théâtre de Genève du 5 au 7 février, 20h, à la salle Maisonneuve de la Place des Arts.