Depuis le temps que les rues de la ville bruissaient de sa légende. Elle est arrivée, Juliette Binoche. J'ai vu hier ses yeux rieurs, son visage diaphane, son grand sourire timide.

Prenez garde à ce sourire timide. Il dissimule un caractère affirmé. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est elle.

En créant In-I, le spectacle qu'elle a mis en scène et interprète avec le chorégraphe et danseur Akram Khan (à compter de ce soir à la salle Pierre-Mercure), Juliette Binoche a retrouvé sa nature de «boss des bécosses».

 

«J'étais très directive, petite, dans la cour d'école, dit-elle en riant. C'est un trait que je reconnais aujourd'hui chez ma fille. Pour une actrice, pour une femme, cela peut être mal perçu...»

Le projet In-I, qui a reçu un accueil mitigé depuis sa création à Londres en septembre, révèle Juliette Binoche sous un nouveau jour. Dans «l'exploration par le mouvement», précise l'actrice, qui n'ose parler de danse. «Je ne suis pas une danseuse de formation. Je ne peux pas récupérer en quelques mois 20 ans de formation en danse.»

Une exploration qui n'a pas été sans heurts, si l'on se fie aux émotions - «la rage, la frustration, l'amour, le besoin» - qui ont accompagné son processus de création. «Ç'a parfois été un enfer», admet Juliette Binoche, qui déclare tout de go qu'on ne l'y reprendra plus à danser sur scène. «C'est trop dur», dit-elle en souriant, tout en étant ravie du risque pris avec In-I.

«Il a fallu trouver un langage, un pont entre Akram et moi. Que je trouve un langage à travers mon corps. Il faut se réinventer soi-même, se transformer. Tout artiste doit lâcher ses peurs pour aller plus loin.» «Se laisser aller est aussi important que de se maintenir», ajoute Akram Khan.

On connaît Juliette Binoche l'actrice. La plus grande actrice française de sa génération. Je dis française, même si Juliette Binoche a transcendé depuis longtemps les frontières nationales. On le perçoit dans son anglais impeccable, à peine mâtiné de l'accent français, qui valse entre l'américain et le british (la moitié de la conférence de presse d'hier s'est déroulée dans la langue d'Akram Khan).

Elle est aussi à l'aise, aussi sublime de retenue, de grâce et de subtilité, chez Kieslowski (Bleu), Rappeneau (Le hussard sur le toit) ou Haneke (Code inconnu, Caché), que chez Philip Kaufman (The Unbearable Lightness of Being), Lasse Halström (Chocolat) ou Anthony Minghella (Breaking and Entering, The English Patient, qui lui a valu l'Oscar du meilleur second rôle).

On connaît Juliette Binoche, l'actrice au regard vif et intelligent. Voici Juliette Binoche, l'artiste multidisciplinaire.

In-I semble avoir été pour elle le catalyseur d'une nouvelle volonté de créer, ou du moins de partager sa création, comme en témoigne l'exposition itinérante qui accompagne les représentations du spectacle partout dans le monde (prochain arrêt: Abu Dhabi).

L'expo Portraits In-Eyes, constituée de 34 portraits de cinéastes, de 34 autoportraits (encre sur papier) et d'autant de poèmes de Juliette Binoche, sera présentée à compter du 9 janvier à la Cinémathèque québécoise, qui profite du passage de l'actrice pour lui consacrer une rétrospective (Mauvais sang de Leos Carax, Rendez-vous d'André Téchiné, Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard, entre autres).

C'est lors du tournage des Amants du Pont-Neuf que l'actrice a commencé ses portraits de cinéastes. «J'habitais à l'époque avec Leos et je le peignais pendant qu'il écrivait. Comme le tournage a duré deux ans et demi, j'ai beaucoup peint!»

Celle que l'on considère comme l'une des plus belles femmes du monde se voit comment dans ses autoportraits? «Je ne me vois pas. C'est un portrait de ce qui surgit à travers moi. Ce n'est pas une idée, c'est une sensation. C'est assez sombre. Je n'y peux rien, c'est comme ça.»

Juliette Binoche, vue récemment dans Paris de Cédric Klapisch et qui doit tourner bientôt Copie conforme avec Abbas Kiarostami, a envie, à l'aube de ses 45 ans, de vivre pleinement sa vie d'artiste. Elle a décidé, il y a un an, de poser nue pour le Playboy français. Une «revendication de son corps» qu'elle a voulu comme un «acte militant».

«Ce projet avec Akram me donne envie d'être indépendante dans la création, dit-elle. Il me donne envie d'écrire. Il y a des périodes dans la vie où il faut quitter une peau pour en trouver une autre.»