L'autobiographie artistique est un genre subtil. On marche sur le fil du rasoir, entre exhibitionnisme et falsification, entre complaisance et dramatisation. Mais dès lors que l'on a décidé de faire une autobiographie artistique - c'est-à-dire, de détourner son vécu au profit d'une création artistique -, au point où on est rendu, il faut le faire... à fond les ballons! Avec authenticité.

Bien sûr, on ne montre pas tout, et l'on choisit minutieusement, comme dans toute oeuvre, les aspects de soi que l'on exposera et comment on les exposera. Reste qu'avec les aspects partiels que l'on a choisi d'exposer, on doit être parfaitement authentique, pour rejoindre le spectateur et partager quelque chose avec lui, au lieu d'être dans l'autocontemplation. Dans sa nouvelle pièce, Corps noir, Stéphane Gladyszewski semble avoir longuement médité ces aspects. Il évite les pièges et chausse-trappes du genre, sait se dévoiler sans imposer ni forcer le spectacle, se met à nu intérieurement sans se contenter d'être juste tout nu, peut-être justement parce qu'il y est habitué, notamment comme danseur de Daniel Léveillé.

 

Et, fait important, lui qui a toujours aimé utiliser la technologie de pointe, les images et la vidéo pour créer un univers souvent plus technologique que charnel, où le corps servait presque plus de support que d'épicentre, il a su cette fois utiliser la haute technologie (certes sophistiquée, notamment l'utilisation fort minutieuse de la thermographie) non pas pour se cacher et cacher au passage émotions et affect, mais au contraire pour les dévoiler, les interpeller, les mettre en scène.

La technologie ici est vraiment un moyen et non une fin. Elle sert à se révéler plutôt qu'à s'éviter. Il réussit ainsi un autoportrait touchant, sincère, qui, par-delà même sa propre histoire, devient un portrait masculin, affectif, en même temps qu'un bel objet artistique.

C'est un autoportrait centré sur la figure de Gladyszewski père, musicien, nomade, absent aussi. De passage à Montréal, il apparaît ici filmé dans sa stature magnifique, mais aussi dans sa fragilité péremptoire, pris comme une matière première dans laquelle le fils va chercher son identité, son image, quelques références de virilité. Et finalement, dans une dernière image émouvante, Gladyszewski fils devient quasiment le père de son père, son soutien, son réconfort. De plus, une voix féminine égrène quelques conclusions du test de Rorschach qui éclaire sa structure de personnalité.

Des images fortes, foetales ou érotiques ou les deux à la fois, arrivent par tromboscope, s'impriment directement dans la rétine et bouleversent. Et si le tout commence sotto voce et que l'on se demande où il veut en venir à tourner ainsi en rond au milieu des objets et des rideaux supports de projections, cela s'insinue dans nos sens et nos émotions pour se déployer, en même temps que s'accélèrent musique, images et rythmiques, fortissimo. Une belle oeuvre, vraiment.

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Corps noir, jusqu'au 23 novembre à Tangente. Infos: 514-525-1500.