Anik Bissonnette vient de faire ses adieux à la scène montréalaise. Son dernier tour de piste, elle a choisi de le faire dans Kylián le Grand, projet que la ballerine québécoise et son complice Mário Radacovsky peaufinent amoureusement depuis plus de trois ans, en hommage au chorégraphe tchèque Jirí Kylián.

Une soirée magnifique, longuement ovationnée vendredi soir au Théâtre Maisonneuve, où s'entremêlent des extraits de chorégraphies du maître, des sections d'une entrevue que Bissonnette a réalisée avec Kylián ainsi que des créations de certains de ses émules. Sur scène: Radacovsky, Megumi Nakamur ou Lesley Telford, qui dansent ou ont dansé au sein du Nederlands Dans Theater (NDT), dont Kylián a dirigé la destinée pendant plus de 20 ans.

 

Kylián par lui-même

Kylián le Grand a été présenté pour la première fois à l'été 2006 à l'occasion du 10e anniversaire du Festival des arts de Saint-Sauveur, dont Mme Bissonnette est directrice artistique. Pour sa rentrée montréalaise, le spectacle a été quelque peu remanié, mais le concept de base reste tout aussi inspiré et inspirant. En effet, le public a rarement le privilège d'entendre des chorégraphes aussi marquants s'exprimer eux-mêmes sur leur travail.

Ici, Kylián exprime toute l'importance que prennent les danseurs dans son processus de création et toute l'admiration qu'il leur voue. Lorsqu'il était directeur artistique du NDT, il est même allé jusqu'à fonder NDT III, compagnie pour les danseurs entre «40 ans et la mort», pour éviter qu'on ne jette bêtement des dizaines d'années d'expérience.

En feront partie Gioconda Barbuto, qui a longtemps dansé pour les Grands Ballets canadiens, et David Krügel. À voir ces deux danseurs évoluer ensemble dans Kylián le Grand, d'abord sur scène dans le déchirant Couple of Moments de Johan Inger - un protégé de Kylián -, puis, sur film, dans l'hilarant Birth-Day de Kylián, on ne peut que constater leur maturité, leur polyvalence et leur subtilité.

Petite Mort, interprété par Anik Bissonnette et Mário Radacovsky, semble encore plus prenant du fait que Kylián vient tout juste de révéler qu'il pensait à l'orgasme en créant ce duo, à cette petite mort «qui contient aussi quelque part une multitude de petits adieux».

Membres dangereusement enchevêtrés, corps cabrés à se rompre, Bissonnette et Radacovsky interprètent à nouveau ce tour de force - la chorégraphie de Kylián frôle souvent la voltige de haut risque - que seuls trois couples au monde sont autorisés à danser.

On aime aussi à revoir la gracile Lesley Telford dans Whereabouts Unknown et dans Wing of Wax. Son corps aux lignes épurées et son interprétation dépouillée font honneur à l'honnêteté que Kylián dit valoriser chez ses interprètes. Idem pour Megumi Nakamur dans Black Bird, le clou de Kylián le Grand: avec elle, les gestes les plus infimes donnent les plus grands frissons.

Le Ballet du Théâtre national de Slovaquie, dont Mário Radacovsky est directeur artistique, clôt ce touchant spectacle tout en douceur, en interprétant Un Ballo, de Kylián, à la lueur des chandelles.

Kylián le Grand part maintenant en tournée. Le spectacle sera présenté à Sherbrooke demain, à L'Assomption le 20 novembre et à Sainte-Thérèse le 22 novembre. Une occasion d'en apprendre un peu plus sur les mystères de la création - et de voir Anik Bissonnette danser pour la dernière fois.