Alors qu'il prépare un solo et qu'il présentera le dernier volet de sa trilogie commencée avec La pornographie des âmes et Un peu de tendresse bordel de merde, Dave St-Pierre relève un nouveau défi: créer pour quatre danseuses hors du commun, à leur demande. Warning: attachez vos ceintures, le résultat est une décoction d'audace humaine!

«Ce que j'ai aimé là-dedans, c'est que je ne les connaissais pas du tout. Je ne les avais pas vues sur scène, je ne connaissais pas leur compagnie, je ne les avais même jamais croisées. Alors quand elles sont venues me proposer de faire leur prochaine pièce, je me suis d'abord demandé pour quelle raison je le ferais. Et là, j'ai compris qu'elles me donnaient l'occasion de quitter le confort de ma compagnie, avec mes danseurs à qui je peux tout demander. Avec elles, c'est l'inverse, j'ai dû réapprendre à travailler avec des interprètes que je ne connaissais pas du tout, comme à mes débuts.»

 

Dave St-Pierre analyse en ces termes le projet que lui ont apporté Marie-Gabrielle Ménard et Mélanie Haché, respectivement directrice générale et directrice artistique de la compagnie Mandala Sitù, dont elles sont aussi les interprètes aux côtés d'Émilie Gratton-Beaulieu et de Geneviève Bolla. Complices de toujours, diplômées des Ateliers de danse moderne de Montréal (LADMMI) en 2005, elles ont compris que le seul moyen de lutter contre la précarité de leur milieu était de prendre la situation en main, en créant une structure qui choisit ses chorégraphes et leur propose de créer pour elles quatre. Le collectif Échine Dõ marche également ainsi, à cette différence que Mandala Sitù fonctionne, précise Marie-Gabrielle Ménard, «de façon non démocratique, c'est une vraie compagnie, où seules Mélanie et moi prenons les décisions.»

Dave St-Pierre, pourtant, elles l'ont choisi toutes les quatre: «Nous sommes allées voir La pornographie des âmes, raconte Ménard, et, à ce jour, c'est le spectacle qui nous a le plus ébranlées. Jamais personne n'avait travaillé ainsi sur le sens de l'artifice, sans tabou, sans gants blancs. On s'est dit qu'on voulait absolument travailler avec lui et, contrairement à ce que les gens pensent, on l'a choisi par vrai coup de coeur et pas par coup de marketing. D'autant que, pour être franche, on pensait vraiment qu'il allait refuser. Il n'avait jamais créé pour les autres, alors on n'imaginait pas avoir la moindre chance.»

L'audace de s'assumer

Eh bien si, justement. Le goût du risque, du défi, de la remise en question, du lâcher-prise qui accompagne l'acquisition d'une meilleure confiance en son travail, tout ce qui fait l'audace et l'inventivité de ses créations, Dave St-Pierre a été capable de l'appliquer à lui-même. Il a accepté: «C'est génial de travailler avec elles! s'exclame-t-il. Elles ont tellement embarqué. Elles m'ont dit vouloir pousser leurs limites, et elles l'ont vraiment fait! Beaucoup n'auraient jamais eu le courage d'aller jusque-là, mais elles, oui. Elles sont allées très loin, y compris dans le trash, le saugrenu.» Ça veut dire quoi, ça, très loin? Jusqu'où exactement? «Le résultat est très déstabilisant, autant pour elles que pour moi», dit-il, sans vouloir révéler le punch. «Au moment de La pornographie des âmes ou d'Un peu de tendresse, mes interprètes n'invitaient pas leurs parents, ils n'osaient pas. Les filles de Mandala Sitù, elles, assument parfaitement.» Et lui, vis-à-vis de ses parents? «Ah! moi j'assume totalement! Aucun problème, mes parents viennent tout voir!»

Mais c'est un critère en effet, d'audace et de révélation de soi. Ça tombe bien, car Warning est une pièce autour du féminin, ou plutôt sur l'audace d'assumer la femme qu'on est, hors des images, des rôles, des attentes, des attitudes convenues et véhiculées, autant par les codes sociaux, familiaux que relationnels: «Il y a vraiment des scènes très exigeantes, dures, où on a dû aller chercher des choses au fond de nous, dit Marie-Gabrielle Ménard. Dave nous a fait acquérir beaucoup de confiance en nous-mêmes.»

Des filles avec une énergie de gars

D'autant que la principale signature de Mandala Sitù est de travailler avec beaucoup de décors, d'objets scéniques, des tonnes de costumes extravagants, des maquillages, de la mise en scène de personnages, avec une forte interactivité avec le public. Comment leur univers a-t-il trouvé écho avec l'épure, brute, dure, de St-Pierre? «Ça a joué en complémentarité, dit-elle. On a imposé les costumes, des robes de mariée délirantes, une tenue de lapine, 12 000 balles de tennis, oui, tout ça c'est nous, et lui a travaillé sur les costumes comme apparat des rôles sociaux. Il a imposé la nudité face au déguisement.» Intéressant, surtout quand Dave St-Pierre reconnaît bâtir d'ordinaire ses pièces autour de ses interprètes masculins: «Quatre filles, c'était un défi, parce que j'aime l'énergie des gars, la distraction, le délire, l'ambiance bestiale genre «gars qui parlent de hockey dans un bar», j'adore ça et j'en ai besoin, car c'est mon énergie. Alors là, j'ai dû composer et finalement, quelqu'un m'a dit: Dave, t'as fait une pièce de filles avec une énergie de gars!»

Warning, de Dave St-Pierre et Mandala Sitù, au Théâtre de La Chapelle, du 25 au 29 novembre, 20h.