Les chorégraphes catalans sont installés à Montréal depuis mercredi dernier. Après Àngels Margarit et Sofia Asencio, Maria Muñoz, Sònia Gómez et sa mère, Rosa Vicente Gargallo, prennent l'affiche à compter de demain, dans des pièces ancrées au coeur de l'âme et de l'histoire catalanes. Une occasion de poursuivre l'exploration d'une création contemporaine qui, à certains égards, fait écho à la nôtre.

«La «danse d'auteur» catalane a beaucoup à voir avec ses débuts hasardeux, ainsi qu'avec l'enthousiasme qui en découla et la soif de nouveautés et de connaissances qui succéda à la chute de la dictature franquiste. Les années 70 et le début des années 80 furent des années de redécouverte et de revendication du corps, libéré des entraves moralistes et du prêchi-prêcha national-catholique que le franquisme avait fait peser sur la chair.» C'est ainsi que Joaquim Noguero, spécialiste de la danse de son pays, raconte l'histoire et le bouillonnement de la danse catalane.

Cela explique que la première génération de chorégraphes catalans ait dû s'aguerrir à l'étranger avant de pouvoir déployer son art chez elle, pour son public. Pep Ramis et Maria Muñoz ont ainsi fondé leur groupe, Mal Pelo, en 1989 et l'ont établi dans une ancienne ferme située à 25 kilomètres de Barcelone. L'Animal a l'esquena est ainsi devenu un centre de rayonnement de la création contemporaine. Tout en y élevant leurs enfants, Ramis et Muñoz y ont planté les racines de l'affirmation artistique catalane, présente et future.

Un solo épuré et léger

Très connue, chez elle et en Europe, Maria Muñoz tourne sans cesse. Nous la verrons pour la première fois à Montréal, dans Bach, pièce acclamée depuis sa création au Teatre Lliure de Barcelone en 2004.

Sur les notes égrenées du Piano Tempere de Bach, elle offre un solo épuré et léger, longue et droite dans son costume masculin noir, dans un vide en noir et blanc, sol blanc et écran vidéo sur lequel sont repris certains de ses mouvements.

Les mouvements dans l'espace dessinent des figures subtiles, avec une vivacité qui exalte le tempo soutenu de la musique, le tout permettant d'admirer la perfection de sa danse géométrique. Une grande sensation de liberté se dégage de l'ensemble.

Ma mère, mon miroir

La deuxième partie de la soirée offre un univers complètement différent, baroque et fortement marqué par la prépondérance matriarcale qui constitue un des atavismes espagnols. La singulière Sònia Gómez - qui adore Montréal où elle s'est produite trois fois au Festival Juste pour rire, à l'époque où elle faisait plutôt dans la performance et le théâtre de rue - s'en explique: «L'idée de Mi madre y yo (Ma mère et moi) m'est venue de deux réflexions principales: premièrement, je suis la seule artiste d'une famille ouvrière très loin de toute idée de spectacle et de l'univers du show-business, et je me demandais pourquoi; ensuite, mon père est mort lorsque j'avais quatre ans et j'ai été élevée par les femmes dans une absence de l'homme, tout à fait à l'image de la société catalane des dernières générations.»

La disparition des hommes marque traditionnellement les dictatures, mais rejoint ici un certain caractère méditerranéen. Cela ne suffit cependant pas à expliquer que sa mère, Rosa Vicente Gargallo, à 70 ans, ait accepté de se lancer dans cette aventure au point de tenir pleinement sa place sur scène et même, depuis quatre ans, de tourner partout dans le monde aux côtés de sa fille de 34 ans! Sur scène, mère et fille parlent de la vie, de la mort, dansent sur Tina Turner et les Beach Boys, s'habillent, se déshabillent, bref, partagent.

«Sa première réaction a été celle d'une mère: je le fais pour toi, dit Sònia Gómez. Puis elle s'est prise au jeu et aujourd'hui, elle vit une vraie vie d'artiste, danse le soir, voyage, mange dans les restaurants dans des villes étrangères. Elle a enfin compris comment je gagne ma vie et, surprise, elle adore! Nous avons réalisé qu'elle avait ça en elle. Au fond, moi, l'artiste de la famille, je suis bien sa fille. Cette découverte est le cadeau de cette pièce. On partage ça avec le public.»

Forcément. Si l'aventure est exceptionnelle, l'authenticité du coeur reste universelle.

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Bach, de Maria Muñoz, et Mi madre y yo, de Sonia Gomez Vicente et Rosa Vicente Gargallo, à l'Agora de la danse, du 26 au 30 septembre, à 19 h 30 et 21 h.