Encore une fois, Emmanuel Schwartz éblouit le public, dans une mise en scène de Denis Marleau. Seul sur scène, il interprète le texte de Laurent Gaudé sur la fin de vie d'Alexandre le Grand, Le tigre bleu de l'Euphrate.

Jusqu'où ira Emmanuel Schwartz ? peut-on sincèrement demander d'entrée de jeu. 

Lauréat du Prix de la critique pour son Tartuffe au TNM en 2016-2017, excellent Achille dans L'Iliade de Marc Beaupré en début de saison, le voici en Alexandre le Grand dans une pièce qu'on aimerait revoir encore. 

Le grand acteur captive, fascine, éblouit les spectateurs en intériorisant un superbe texte de Laurent Gaudé.

Dans les semaines précédant la représentation, sous la direction experte de Denis Marleau, il nous avait avoué quelques craintes sur son travail. Moteur de création s'il en est, le doute l'amène ici à se surpasser, commandant le respect le plus total pour un monologue d'une écriture fine et élégante.

Après victoires et conquêtes, Alexandre le Grand meurt. Agonisant, il veut être seul et en silence. Il ne parlera qu'à la mort en personne. Sans peur, mais avec mille regrets, il la voit et la séduit elle aussi. Même lorsqu'il est mourant, rien ne résiste à son désir ravageur.

« Il n'y a rien que l'on puisse me prendre. La seule chose que je pourrais donner, la seule chose qui me soit véritablement précieuse, c'est mon appétit », écrit Laurent Gaudé.

Pour cette raison, à la fin, mais comme tous les vivants, Alexandre descendra dans le monde d'en bas seul et nu. Il disparaîtra volontiers dans les « souterrains sans lumière » parce qu'il sait qu'on le pleurera et qu'on se souviendra que sa soif a été, est et restera à toujours intacte.

Cette force de vie, cette volonté de fer n'occulte en rien ses actions meurtrières, cruelles, mais ne cache pas non plus son humilité, oui, devant les vaincus. Il sera troublé par la veuve d'un adversaire tombé au champ de bataille ; il se mettra à genoux et pleurera devant ses propres soldats exténués. 

Grande direction d'acteur

La vision de Laurent Gaudé est de montrer, tout à tour, le géant et le lilliputien Alexandre. Vaniteux comme deux, puis faible comme un vieillard sans voix. L'animal en lui, également. Le tigre fantasmé qu'il a toujours été.

Emmanuel Schwartz joue tout cela et davantage. Avec un minimum de moyens, qui exige tout de même une grande résistance physique.

Il nous envoûte dès le début, de dos, avec sa voix d'outre-tombe. Plus tard, avec ses mains qui sculptent l'air et, encore, sur la pointe des pieds, ou, sur son grabat, contorsionné par la douleur ou la colère. 

Cette performance hors du commun ne serait possible sans le grand directeur d'acteur qu'est Denis Marleau. Il dose, module, sculpte la matière humaine, organique et y adjoint les magnifiques vidéos de Stéphanie Jasmin, au diapason de l'esprit divagant de l'agonisant. Souvenirs, visions ou fantasmes, en images floues comme il se doit, de paysages et de pays où le grand guerrier a vu et vaincu.

Alexandre meurt, mais il a toujours soif. Avec lui, nous aussi.

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Le tigre bleu de l'Euphrate

Texte : Laurent Gaudé

Mise en scène : Denis Marleau

Au Quat'Sous, jusqu'au 26 mai