Les Marguerite(s), ce sont trois interprètes exceptionnelles - Louise Lecavalier, Céline Bonnier et Sophie Desmarais - qui rendent avec justesse et émotion la pensée et la parole des femmes à travers les siècles. Parfait spectacle pour la réouverture d'Espace Go, après des mois de travaux.

À entendre la voix de Marguerite Porete, croyante fervente, voire mystique, on se demande bien pourquoi ses juges-bourreaux l'ont envoyée au bûcher. Dans Les Marguerite(s), la réponse est malheureusement simple : Marguerite était une femme. Il fallait l'anéantir.

Provenant d'un homme, son amour divin aurait sûrement été célébré et encouragé. Au XIIIe siècle, Marguerite Porete n'avait tout simplement pas le droit de le dire, encore moins de le penser et de l'écrire.

Sa résistance silencieuse lors de son procès est jouée par Louise Lecavalier en première partie. Papillon voulant sortir de son cocon, elle parcourt la fine ligne de la rectitude religieuse de l'époque. Toute tentative de sortir du cadre est aussitôt réprimée.

La danseuse nous émeut lors d'une scène de quelques douloureuses minutes où elle arpente la scène la tête complètement courbée vers l'arrière à la verticale, telle une marguerite à la corolle coupée.

La deuxième partie nous présente cinq autres Marguerite qui ont connu et lu Porete, ou pas, et qui racontent leur vie ingrate, parfois tragique, de femme. De Marguerite de Constantinople à Marguerite Duras, elles témoignent de l'évolution de la pensée des femmes depuis 700 ans.

Cette partie hautement technologique, où Céline Bonnier (remplacée par Évelyne Rompré pour certaines représentations) se coiffe d'un casque pour «animer» les portraits de ces Marguerite, comprend un texte qui s'étire en longueur en raison de trop nombreux détails sur la vie de chacune, ce qui nous éloigne, par moments, du thème principal.

Mais là encore, Céline Bonnier réussit le tour de force de rendre vivante, vibrante même, chacune de ces femmes tout aussi exemplaires que leur consoeur sacrifiée par la vanité des hommes.

Avec des yeux d'aujourd'hui

Sophie Desmarais, en jeune femme de la modernité qui est «tombée» sur le livre de Marguerite Porete, entame magistralement la dernière partie. Nerveuse, inquiète, elle lit des passages du livre, partageant la passion et la quête d'absolu de son auteure. Louise Lecavalier reviendra faire quelques pas pour dire que cette parole précieuse et libre a encore tout son sens aujourd'hui.

Porteur d'un «océan d'amour», Le miroir des âmes simples et anéanties de Marguerite Porete aura vaincu les feux de l'enfer érigés par les hommes.

Soulignons, enfin, l'excellente direction des interprètes par Stéphanie Jasmin et Denis Marleau, la musique prenante d'Ana Sokolović et les très belles sculptures de Claude Rodrigue.

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Les Marguerite(s). De Stéphanie Jasmin et Marguerite Porete. Mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. Avec Louise Lecavalier, Céline Bonnier ou Évelyne Rompré (en alternance) et Sophie Desmarais. À Espace Go jusqu'au 17 mars.

Photo Caroline Roberge, fournie par Espace Go

Louise Lecavalier dans Les Marguerite (s)

Photo Caroline Roberge, fournie par Espace Go

Céline Bonnier dans Les Marguerite (s)