C'est un sale temps pour les humoristes, dans un contexte de polarisation où ils évoluent tous en terrain miné, sans jamais savoir quelle sera la blague de trop qui leur explosera à la figure, mais c'est peut-être ce qui explique l'étonnante longévité du duo «brun» Les Denis Drolet.

Sans jamais faire de concessions, ils ont réussi à avoir un pied dans le grand public tout en restant dans la marge. Si leur humour ne peut plaire à tout le monde, ils font néanmoins partie du paysage, et la base de leur fan-club est très solide.

C'était manifeste mardi, à l'avant-première de leur quatrième spectacle, En attendant le beau temps, au Monument-National. Il y avait une énergie dans la salle qui venait vraiment de l'amour du public, certains spectateurs riant de bout en bout du spectacle, complètement en adéquation avec leur univers, d'autres sombrant dans l'hilarité à des moments précis. Et toujours ces quelques égarés, aux visages figés, qui ne comprennent rien et qui ont hâte de s'en aller (ils font partie du spectacle, ceux-là).

Sur scène, surplombant le duo, un arc-en-ciel illuminé, si quétaine qu'il touche au sublime. Leur promesse est de nous amener de «l'autre bord de l'arc-en-ciel», et c'est peut-être la seule chose sérieuse du show. Une allusion discrète, à la toute fin, à la tristesse du monde qu'on oublie momentanément et au fait qu'on a lâché nos téléphones pendant ce spectacle où «on a ri, on n'a rien compris, en attendant le beau temps», nous chantent-ils.

Ne rien comprendre et se laisser porter par leur folie, c'est prendre congé avec eux de tous les débats, de l'opinion et des prises de position, dans un humour sans message destiné à nous replonger dans le rire jubilatoire de l'enfance. Le rire pour rien!

Ainsi, il sera question d'un concept de spectacle où Patrick Bruel chante pendant trois heures le thème de Walking Dead, de remerciements à leur équipe qui a notamment, au son, un muffin (muffin au son, la pognez-vous?), de jokes de «nachos» sur les femmes (le numéro sur les différences hommes-femmes est une critique frontale et insensée de toutes les platitudes que l'humour a pu nous servir sur le sujet), de jus d'orange, d'essence de vanille, de chips et de yogourt nature, d'ours polaire et de santé mentale, du refus de mimer des sacs de plastique dans un sketch au centre commercial, de patinage autistique, et de la meilleure blague du spectacle selon le Denis barbu, soit celle sur la mascotte Youppi qui s'empare de la rondelle d'oignon. Tellement bonne, selon lui, qu'il fallait appeler Yvon Deschamps parce que «yé temps qu'il sache qui a repris le flambeau de l'humour au Québec».

L'art de la blague qui tombe à plat

Dire simplement que Les Denis Drolet font de l'humour «absurde» ne leur rend pas assez justice. Ce qu'ils font est indéfinissable et est pourtant réglé au quart de tour dans ce spectacle assez court (moins de 1 h 30 min) qui ne compte aucun temps mort.

Cela tient au suspense: l'humour des Denis Drolet est tellement imprévisible, parfois même violent, qu'on est toujours sous tension, ne sachant jamais quand ils vont déraper ou se saboter volontairement. Ça n'existe pas, une mauvaise joke des Denis, puisque le mauvais est leur carburant et que la blague qui tombe à plat est un idéal porté aux nues.

Ne voir aucun punch arriver, c'est un peu le but de leur anti-«humour ordinaire». Et on se dit que la légalisation prochaine du cannabis est la seule chose qui pourrait élargir leur public.

On ajoute qu'avec ce quatrième spectacle, le côté fusionnel des Denis Drolet est à son apogée. Il faut que ces deux gars-là s'aiment beaucoup pour se comprendre autant et retenir des textes qui semblent n'avoir aucun début, milieu, ni fin. Comment font-ils pour ne pas se perdre en nous perdant? On peut même parler d'une «bromance» passionnelle, magnifiquement illustrée par la chanson La douche, où l'on passe d'un gentil savonnage entre chums qui jasent sous la douche, à la fellation puis à la baise la plus brutale.

Le plus drôle avec Les Denis Drolet est que leur humour tripote notre inconscient, il change même notre ADN de spectateurs. Leur spectacle nous suit longtemps après sa fin, quand on se surprend à fredonner leurs tounes et à répéter leurs niaiseries entre convertis. C'est un peu ça, l'affaire : ils nous invitent, comme un privilège, à partager l'intimité de leur gang de deux qui fait des blagues qu'eux seuls comprennent, et qu'on finit par faire nôtres. C'est bien pour ça qu'on les aime.

* * * *

En attendant le beau temps. Les Denis Drolet.

Photo Bernard Brault, La Presse