Inspiré par le cycle de l'eau et la réminiscence des marées, The Eternal Tides a des qualités méditatives qui ne manquent pas de déstabiliser nos cerveaux d'Occidentaux habitués à la vitesse, au multitâche et à la surabondance d'informations.

Il se peut donc que vous ayez du mal à apprécier ce spectacle de deux heures de la compagnie taïwanaise Legend Lin Dance Theatre, dont c'est le premier passage à Montréal, surtout si vous y allez dans l'attente d'être diverti et pris en charge.

Car non seulement The Eternal Tides dure longtemps, mais il est aussi imprégné d'une telle lenteur méditative que notre sens de la temporalité s'en trouve complètement déréglé. L'expérience vécue relève davantage du parcours méditatif, du voyage introspectif et intuitif, que de la représentation traditionnelle.

L'éternel recommencement

Pour cette création, la chorégraphe et directrice artistique Lin Lee-Chen s'est inspirée de l'eau, particulièrement de l'océan qui entoure Taïwan et ponctue les vies de ses habitants insulaires, ainsi que du cycle perpétuel de la marée dans lequel se reflète le cycle de la vie, qui se poursuit inlassablement, depuis des temps immémoriaux.

Ce qui se propose au regard et à l'esprit est un univers inconnu et mystérieux, tissé d'us et coutumes venus d'un lointain monde oriental, puisant dans les symboles religieux et ancestraux de cette culture millénaire.

La scène se présente d'abord voilée par de longues bandes de soie blanche qui cascadent du plafond. Peu à peu, comme la marée qui se retire, elles laisseront apparaître un espace vide occupé par une silhouette blanche, recroquevillée par terre. 

De chaque côté de la scène, deux tambours et un bong, maniés par deux musiciens assis en fleur de lotus, qui ponctueront ces deux heures avec leur musique pulsée, presque incantatoire, exécutée avec un stoïcisme et une concentration exemplaires. En coulisses, une chanteuse accompagne les percussions de sa voix chaude et grave, semblant venir d'un autre temps.

Femmes nues à la silhouette fantomatique recouverte de poudre de riz et à la longue chevelure noir de jais qui tournoie sans fin ; femmes semi-accroupies glissant près du sol avec une lenteur infinie, mains tendues devant elles portant une bougie à la flamme vacillante; hommes au torse nu barbouillé de rouge, portant des branchages secs qui, une fois secoués, laissent flotter de fines particules dans les airs; couple s'enlaçant dans une voluptueuse lenteur; cri strident qui perce l'espace... The Eternal Tides se pose comme une succession ininterrompue de tableaux vivants, une grande fresque méditative en mouvements qui prend par moments un air cérémonial.

La dynamique qui s'installe sur scène est fascinante. Tout, ou presque, est exécuté dans une lenteur qui demande une concentration absolue, inébranlable.

Mais lenteur ne rime pas nécessairement avec ennui ou vacuité: l'énergie est concentrée, palpable dans ces mouvements d'une précision à couper le souffle.

La chorégraphie est construite à l'image de l'océan et de son ressac, de ce mouvement tranquille d'allée et venue qui ne peut être dérangé ni arrêté et ne connaît aucune fin, aucun but autre que sa propre existence. Et tout comme la marée montante ou descendante, sa progression se fait, mais sans qu'on puisse vraiment la remarquer, la fixer dans un instant précis, alors que la fin d'un segment est simultanément le début d'un autre. Un cycle infini, à l'image de la vie, où le début et la fin s'enlacent jusqu'à devenir la même entité.

S'adressant davantage à l'intuition et aux sens qu'à la raison, soulignant le lien ineffable entre l'homme et la nature, The Eternal Tides demande de laisser aller ses préalables ou préjugés pour se laisser happer dans l'instant et être prêt à changer, pour quelques heures, de temporalité.

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The Eternal Tides. Du Legend Lin Dance Theatre. Au Théâtre Maisonneuve jusqu'à ce soir, dans le cadre de Danse Danse.