Un grand texte, de bons acteurs, une mise en scène physique. Malgré une certaine froideur, Dans la solitude des champs de coton laisse prévoir toutes les qualités d'un grand rendez-vous théâtral.

On meurt tous d'amour ou du manque d'amour, ce qui revient au même. C'est dans ce gouffre intersidéral que se situe Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès. C'est dans ce crépuscule, cet entre-deux qu'il tente d'habiter, qu'il veut expliquer, que son texte opère magnifiquement.

Considérations philosophiques et éclats poétiques servent à animer une rencontre ou, plutôt, une quasi-rencontre. Deux hommes dans une ruelle, le soir. Ils se heurtent et s'aiment presque, se cherchent et tentent de s'ignorer à la fois. Un vendeur, un acheteur, peut-être. Il n'y a pas de réponse claire chez Koltès et, pourtant, on saisit tout.

Dans la solitude des champs de coton peut représenter n'importe quelle relation entre deux êtres. Séduction, répulsion, solitude à combler, intégrité à protéger, curiosité et dédain, à la fois attirance et méfiance spirituelle, physique, totale.

Pour rendre l'étrangeté de cet amitié/amour impossible, les spectateurs marchent dans le gravier pour accéder à la salle. Dureté d'un caillou mouvant. Tout est instable. Une ambiance sonore mystérieuse agit comme prélude au duel qui suivra.

Entre les chocs initial et final des deux chiens qui se jaugent, se reniflent, grondent, puis en viennent presque à la sensualité: une scène longiligne. Dans cette arène peu commune, le spectateur doit souvent étirer le cou pour mieux entendre. L'inconfort des personnages nous est transmis du même... coup. Ceux-ci exécutent une partition physique précise, une gestuelle métaphorique empêchant tout naturalisme encombrant de se glisser dans cette matière dense.

Au scalpel

L'excellent Hugues Frenette («le vendeur») assure une assise solide aux échanges ambigus entre les deux hommes. Sébastien Ricard («l'acheteur») slalome entre fulgurances captivantes et monologues plus plats. Un débit parfois trop rapide est en cause ici.

Ainsi, la mise en scène de Brigitte Haentjens creuse le texte jusqu'au fond. Son scalpel un peu froid nous donne néanmoins accès à une pensée unique au théâtre, nous fait réfléchir à la fin du monde, nous place devant la fin de l'amour tout en maintenant que cela reste possible, souhaitable.

Oui, c'est du manque d'humanité que tous ressentent à un moment ou à un autre qu'on nous parle ici, entre l'humilité et l'arrogance des personnages, leurs frustrations et leurs impatiences qui peuvent mener à l'affrontement frontal comme à la relation sexuelle intense.

Koltès nous parle de l'amour et de la haine qui prennent leur dîner au même endroit. Dans un lieu obscur où tout est permis, mais rien n'est possible. Dans un coin de l'âme où un geste peut vouloir dire une chose et son contraire, dans un espace où le désir prend toute la place. Dans la solitude des champs de coton, tout n'est que désir. L'assouvir est une question futile. Désirer, c'est vivre au présent.

Les subtilités qu'assurent le temps et la pratique devraient faire en sorte que l'émotion coule plus aisément dans les prochaines représentations. Pour l'instant, Dans la solitude des champs de coton nous mène pratiquement à un «orgasme intellectuel». C'est déjà plus que la majorité des propositions théâtrales du moment; ce sera toujours davantage que l'ensemble des textes portés à la scène hier et aujourd'hui.

* * * 1/2

Dans la solitude des champs de coton. De Bernard-Marie Koltès. Mise en scène de Brigitte Haentjens. À l'Usine C jusqu'au 10 février.

Photo Jean-François Hétu, fournie par l’Usine C

Sébastien Ricard et Hugues Frenette dans la pièce Dans la solitude des champs de coton