Cette première collaboration entre le tandem Lemieux-Pilon et les 7 doigts s'est faite dans la plus grande discrétion.

Il y avait pourtant matière à claironner. Michel Lemieux et Victor Pilon, créateurs d'effets visuels spectaculaires (notamment avec le Cirque du Soleil, mais aussi au théâtre, avec Icare, La belle et la bête, Norman, etc.), aux côtés d'artistes de cirque dotés d'un penchant théâtral, les espoirs étaient grands de voir naître un projet phénoménal!

Ironiquement, les concepteurs de cette fable acrobatique sur le temps qui passe ont peut-être manqué de temps pour lier tous les éléments scéniques de ce spectacle visuel éblouissant, qui mêle les genres et les ambiances avec une certaine maladresse.

Cela dit, il y a de magnifiques tableaux qui combinent tous les talents, à commencer par la scène d'ouverture, où nous sommes en présence d'un couple âgé, qui se remémore ses jeunes années. Patrick Léonard et Isabelle Chassé - qu'on ne voit pas souvent sur scène - y vont d'une superbe chorégraphie (tantôt avec masques, tantôt sans) sur une scène inclinée vers le public, appuyés par des projections de leurs personnages à différents âges.

Un troisième personnage (Gisle Henriet) incarne le temps. Celui qui passe, qui fait qu'on oublie, qu'on se rappelle, qu'on désire, qu'on regrette, et qui nous fait réaliser qu'on n'a pas vraiment d'âge. Un très beau flash qui permet des interactions acrobatiques avec les deux personnages principaux.

Les livres, que l'on retrouve dans la bibliothèque, sont abondamment utilisés dans les chorégraphies, mais parfois de façon abusive ou incohérente.

Et puis, il y a ces brusques changements de ton, de rythmes et de genres où Patrick Léonard - qui vient de représenter son spectacle clownesque Patinoire à la TOHU - pèche par excès de zèle dans ses interprétations à la Buster Keaton, notamment dans une scène dramatique où l'appartement du vieux couple prend feu. On fait ici dans le «slapstick», notre homme déguisé en pompier glissant sans cesse de son échelle en poussant des oh! et des ah... À retirer!

C'est dans ces scènes-là que Temporel perd tout son sens, sa subtilité et sa poésie. Parce qu'aussitôt après, on retrouve le petit écrin scénique dans lequel évoluent les personnages. 

Dans une des scènes les plus touchantes, le vieil homme est attiré par le spectre de sa femme disparue, éloigné par le temps qui le distance sans cesse.

Dans un autre très beau segment, on retrouve le personnage féminin (jeune) face à un cerceau, qui fera office de miroir, mais qui servira à exécuter une très jolie chorégraphie où se mêlent le présent et le passé.

C'est dans ces moments-là qu'on sent les effets spéciaux de Lemieux-Pilon bien ancrés dans la dramaturgie de Temporel. Même si certaines illusions - comme le dédoublement de Patrick Léonard - sont impressionnantes en soi.

Le dernier tableau est extrêmement émouvant. L'hologramme du personnage masculin, à l'adolescence, entonne Avec le temps de Léo Ferré avec sa voix encore enfantine. Une chanson extraordinaire, tout le monde en conviendra, mais qui vous rendra cafardeux pendant au moins deux jours. Peut-être qu'un couplet aurait suffi...

Bref, espérons que ce spectacle continue de se peaufiner et de se resserrer parce qu'il y a de riches idées et de magnifiques images dans ce Temporel plein de promesses, bien meilleur sans ses tentatives burlesques.

* * * 1/2

Temporel. Une production de la Place des Arts et de Lemieux Pilon 4D Art. Avec la collaboration des 7 Doigts. À la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu'au 27 janvier.

Photo Jean-François Gratton, fournie par Lemieux Pilon 4D Art

Isabelle Chassé dans le spectacle Temporel