On dirait que plus le monde semble s'enfoncer dans la médiocrité et la méchanceté, avec des géants comme les États-Unis et la Corée du Nord qui se chicanent au-dessus de nos têtes, plus Fred Pellerin est pertinent, plus il nous ramène à nos bases, plus il nous insuffle de l'espoir et une envie de beauté. Une envie d'exister pour vrai.

On dirait que plus le monde semble s'enfoncer dans la médiocrité et la méchanceté, avec des géants comme les États-Unis et la Corée du Nord qui se chicanent au-dessus de nos têtes, plus Fred Pellerin est pertinent, plus il nous ramène à nos bases, plus il nous insuffle de l'espoir et une envie de beauté. Une envie d'exister pour vrai.

Avec ce Village en trois dés, présenté jeudi soir dans un Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts plein à craquer et suspendu à ses lèvres, Fred Pellerin en est à son sixième spectacle de conte, et la magie de son verbe opère toujours. Mieux que ça : on en a besoin. Même s'il nous annonce à la blague : « Je ne fais plus de conte, je fais des conférences. » 

C'est la grande mode, ça, les conférences. Mais aucune n'est aussi profonde que la sienne qui n'en est pas une, c'est sûr.

Poli et humble envers le public, il ose encore se présenter. « Pour ceux qui ne le sauraient pas, je viens d'un village qui s'appelle Saint-Élie-de-Caxton... » Première cascade de rire sincère, car qui ne connaît pas Fred Pellerin ?

On a beaucoup entendu parler aussi de son Saint-Élie-de-Caxton, qui conserve miraculeusement sa part de mystère. Et cette fois, Pellerin veut nous raconter le mystère de sa naissance. La question qui surplombe ce spectacle est philosophique, au fond : qu'est-ce que ça prend pour faire un village ? D'aucuns y verront aussi un questionnement politique que pourtant Pellerin n'amène jamais sur le terrain de la polarisation. Un tour de force de nos jours.

APPELER ODETTE

Pour les faits, Saint-Élie-de-Caxton est né le 12 avril 1865. Mais pourquoi et comment ? C'est là que le conte peut se déployer. Fred Pellerin est allé chercher dans les archives, dont Odette Villemure, la secrétaire réceptionniste de Saint-Élie, possède la clé de voûte. Selon lui, c'est la seule qui pourrait survivre à une attaque nucléaire dans ce bunker. Il nous explique que lorsqu'on appelle au village, on doit faire le zéro, et c'est sur elle qu'on tombe. Que le « 0 », en fait, c'est le début de son nom - et il nous invite à lui téléphoner, parce que c'est son genre d'humour.

Afin de prolonger la magie du spectacle, nous avons appelé Odette hier matin, peu de temps après l'ouverture des bureaux. C'est bien elle qui répond au bout du « 0 ». Elle a déjà le fou rire.

« Vous êtes le troisième appel ce matin », dit-elle. Elle a même reçu des coups de fil de la France quand Fred Pellerin était en spectacle à Paris cet automne.

- Vous ne trouvez pas que ça augmente votre charge de travail ?

- Ben oui, mais c'est ben drôle ! »

La preuve que toute la fantaisie de Fred Pellerin s'appuie sur du réel, qu'il nous donne envie de transformer. Et qu'elle déborde bien au-delà du cadre de la scène.

GENS DU VIEUX RÊVE

Comme il manque les trois premières pages des archives du village, Fred Pellerin a dû demander à sa grand-mère de lui raconter la naissance de Saint-Élie-de-Caxton qui, pour lui, a toujours existé, peut-être même depuis le Big Bang. 

Si le village est né le 12 avril 1865, qu'est-ce qu'il y avait le 11 ? Des gens. Méo le barbier qui coupe les cheveux tout croche, Mme Gélinas et ses 473 enfants (tous des gars nés dans l'espoir d'avoir une fille), le riche Toussaint Brodeur, le forgeron et sa fille Lurette (une pleureuse professionnelle), la rousse veuve joyeuse de Saint-Barnabé-Nord et sa centaine de vaches acquises curieusement, et la postière Alice, rebaptisée Aliche, qui fera qu'à Saint-Élie, on se mettra à écrire aux morts... qui répondront.

Le nouveau curé Élie n'aime pas ça. Pas plus qu'il n'aime le fascinateur et ses tours de magie. Il est exaspéré par les défauts de ses ouailles, assez pour leur dire « Vous ne serez jamais un village ». Mais la magie, la foi, l'illusion, selon Pellerin, « sont toutes des clés qui cherchent à ouvrir la même porte ». Et c'est sur un coup de dés, autour d'un adorable bébé, que le destin de Saint-Élie va se jouer, avec les âmes de ses habitants dans la balance.

On ne vous révélera pas le punch, car il n'y en a pas vraiment. Tout est dans la langue de Fred Pellerin, peaufinée au possible, un ravissement de chaque instant.

Dans un savant mélange d'émotions apportées par les chansons (de Léon et Jocelyn Bigras, Martin Léon, Daniel Lavoie, Gilles Vigneault, Jacques Michel et David Portelance) et un rire de bon coeur qui fait du bien en ne faisant de mal à personne. Dans ce vers quoi il nous entraîne, qui est quelque chose comme la bonté, un congé salutaire du cynisme, et un désir de naître. 

Alors quand Fred Pellerin se met à sonner les cloches de l'église sur scène, on entend le plus beau des tocsins : l'urgence de vivre. Ensemble. Et ça résonnera partout au Québec, où le spectacle se promènera jusqu'en 2019.

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Un village en trois dés, de Fred Pellerin, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu'à ce soir, à Shawinigan les 8 et 9 décembre et à Québec du 19 au 22 décembre. En supplémentaires à Montréal les 17 et 18 février 2018 et les 28 et 29 mars 2019.