Pour les artistes ayant participé à la création d'Another Brick in the Wall, c'était un défi colossal que de construire un opéra à partir d'une oeuvre aussi mythique que celle de Roger Waters. Le résultat, bien que spectaculaire, laisse le spectateur ébloui, mais perplexe.

Pour cette production dotée d'un budget record pour l'Opéra de Montréal, on a tout fait pour épater la galerie. Le résultat, visuellement, est somptueux. Si l'opéra représente l'art total, la somme de tous les arts comme le voulait Wagner, on peut dire que ce concept a été pleinement exploité par la production dans un contexte moderne en intégrant les arts numériques et la vidéo au théâtre et à la musique. 

Toutefois, ce matraquage visuel a ses effets pervers. Dans la première partie, le spectateur ne sait plus où donner de la tête tellement il est bombardé d'images, de symboles et d'éléments narratifs secondaires qui concurrencent la musique plus qu'ils ne la complètent. Cette profusion finit par assommer, voire ennuyer, et donne envie de citer le titre d'un essai du cinéaste Bernard Émond: «Il y a trop d'images». D'ailleurs, le deuxième acte, plus sobre, est nettement plus efficace et plus satisfaisant.

Les mélodies originales sont méconnaissables. Julien Bilodeau a métamorphosé le matériau original pour en faire une oeuvre nouvelle. Il faut lire les surtitres pour s'y retrouver par rapport aux titres de l'album. Les fans de Pink Floyd qui ne sont pas prévenus et s'attendent à une transposition symphonique conventionnelle seront surpris, déroutés et peut-être même déçus. Il ne s'agit pas d'un reproche, mais plutôt d'un constat, car le fait que l'oeuvre de Bilodeau nous emmène ailleurs ne signifie pas pour autant qu'elle soit ratée, au contraire. Elle possède sa propre beauté et son propos musical unique, avec nombre de passages magnifiques et une cohérence esthétique remarquable. On retient particulièrement ce que Bilodeau a fait des pièces Mother et Hey You, les plus réussies. La partition est foisonnante. On y détecte une foule d'influences et d'évocations de compositeurs divers, allant du post-romantisme au post-minimalisme.

Les mélomanes et amateurs d'art lyrique apprécieront la beauté des parties vocales et des choeurs, ainsi que l'interprétation des chanteurs, émouvante et sincère. Étienne Dupuis (Pink), inutilement affublé d'une perruque à la Elvis Gratton, y démontre sa polyvalence et la maîtrise de son instrument. Caroline Bleau (la femme) se donne avec intensité. La soprano France Bellemare (la mère) est merveilleuse et s'avère plus que prometteuse pour sa Mimi dans La Bohème, en mai prochain.

Une trame un peu simpliste

Alors, qu'est-ce qui ne va pas? Les points faibles de cette mise en scène spectaculaire prennent peut-être racine dans la trame narrative originale, suffisante dans le contexte d'un album rock conceptuel, mais un peu simpliste pour devenir le livret d'un opéra d'envergure écrit à notre époque, avec les exigences théâtrales que cela implique. Dans l'oeuvre originale de Waters, tout se tient artistiquement grâce à sa géniale musique. Le film d'Alan Parker de 1982, basé sur l'album, est un long vidéoclip aux images percutantes. Cependant, le film est davantage construit comme une succession de tableaux véhiculant des idées fortes - dont le fil conducteur est l'évolution du personnage de Pink - que sur un véritable scénario.

Or, un opéra n'est pas le cinéma, encore moins un vidéoclip. Ses codes diffèrent, et une interaction juste entre la musique et la narration est la clé du succès. Il faut que les personnages puissent incarner et exprimer musicalement toute leur complexité et leurs conflits intérieurs, au-delà des stéréotypes usés du chanteur rock, de la mère et de la femme fatale. Dans le contexte d'Another Brick in the Wall, ces personnages unidimensionnels apparaissent perdus et écrasés par les ambitions démesurées d'une mise en scène qui nous laisse étourdis, mais privés de ce sentiment de plénitude que l'on ressent, souvent, en sortant de l'opéra.