La vie est un éternel recommencement, nous dit Eugène Ionesco dans La Cantatrice chauve, sa première pièce écrite en 1947, qui demeure toujours un objet rare, étrange et fascinant. Même si aujourd'hui, ce n'est pas tant son côté absurde qui fait mouche, mais sa mécanique parfaitement huilée. Ionesco savait écrire pour des acteurs.

Pour reprendre l'expression de Normand Chouinard, le metteur en scène de la production du Rideau Vert, Ionesco a écrit un précis de «philosophie comique» pour lutter contre l'angoisse de la mort. Rien n'est plus tragique que le comique, dit-on.

On connaît l'argument. Il est 21h‚ dans un intérieur bourgeois en banlieue de Londres, le salon de M. et Mme Smith (Dorothée Berryman et Carl Béchard). La pendule sonne les «dix-sept coups anglais». Après le souper, le couple bavarde au coin du feu. Lui est absorbé par son journal; elle, par son tricot. Ils échangent des propos futiles et de drôles de raisonnements, passant d'un sujet à un autre, sans essayer de faire de lien, encore moins d'avoir du sens... Comme s'ils aimaient faire du bruit avec leur bouche.

M. Smith dit qu'on mentionne «toujours l'âge des personnes décédées et jamais celui des nouveau-nés». La pendule continue de sonner «sept fois», «trois fois», «cinq fois»... Le temps passe au point où le couple a oublié avoir invité des amis à souper! À leur arrivée, les échanges continuent. Puis, on sonne à la porte, une fois, deux fois, trois fois. Personne. Et une quatrième fois, alors qu'entre en scène un capitaine de pompiers qui a déjà été l'amant de la bonne (respectivement Rémy Girard et Danièle Lorain, en grande forme!). Plus la fin approche, plus le charme discret du conformisme de la bourgeoisie s'étiole. Avec Ionesco, il n'y a jamais de résolution.

Un quatuor de virtuoses!

La relecture de Normand Chouinard est assez moderne. Il ne traite pas ce classique comme une pièce de musée, mais comme une partition pour acteurs archi-doués. C'est un pur bonheur de voir les deux couples, les Smith (Dorothée Berryman et Carl Béchard) et les Martin (Sylvie Drapeau et Luc Bourgeois), pivoter sur leurs chaises en étirant la conversation pour mieux meubler le vide. Voilà quatre interprètes au sommet de leur art qui jouent avec le langage, les rôles et les situations comme un quatuor avec des partitions de Bach. Une mention à la suave Dorothée Berryman, qui se déplace en flottant dans sa robe (les colorés costumes de Suzanne Harel sont magnifiques, tout comme le décor monochrome de Jean Bard!).

Finalement, Normand Chouinard a bien compris que La Cantatrice chauve est une formidable «machine à jouer, une machine à faire du théâtre». Dixit Jean-Luc Lagarce. Ce dernier a monté la pièce en 1992, à Paris. Il disait qu'elle est une parodie de théâtre. «Ionesco se moque de la comédie policière‚ du théâtre de boulevard‚ du théâtre bourgeois‚ du théâtre anglais‚ mais aussi de Brecht.» Il n'a pas tort.

Une vieille Leçon

Écrite trois ans plus tard, mais jouée en duo avec La Cantatrice depuis 60 ans (depuis le 16 février 1957, plus exactement) au Théâtre de la Huchette à Paris, La leçon est une oeuvre mineure comparée aux chefs-d'oeuvre d'Ionesco: La Cantatrice, Le roi se meurt, Rhinocéros...

Pas sûr que ce soit encore une bonne idée de les produire dans un programme double. Après l'irrésistible première partie, on croit subir une grosse chute de pression en voyant La leçon.

Toutefois, il faut rester ne serait-ce que pour voir l'excellent duo de Rémy Girard (le professeur) et de la jeune actrice Rosine Chouinard-Chauveau (qui joue l'élève).

Pour la petite histoire du Rideau Vert, cette jeune actrice reprend ici le rôle de l'élève défendu par sa mère, Violette Chauveau, aux côtés de son père Normand Chouinard, en 1996... Tout est dans tout, dirait Ionesco!

* * * 1/2

La Cantatrice chauve (suivie de La leçon). Texte d'Eugène Ionesco. Mise en scène de Normand Chouinard. Avec Dorothée Berryman, Sylvie Drapeau, Rémy Girard. Au Rideau Vert, jusqu'au 4 mars.