Pendant que sa pièce Unrelated est présentée en Norvège et en Angleterre, la jeune chorégraphe d'ici Daina Ashbee confirme son talent avec Pour, présentement à l'affiche à Montréal.

Le sang menstruel, un tabou? Le seul liquide rouge que verront les spectateurs de Pour (Verser en français) de la chorégraphe Daina Ashbee se trouve dans un bol à l'entrée de la salle. Tout le reste navigue entre le noir et le blanc.

La créatrice montréalaise ne confronte pas platement ledit tabou dans sa nouvelle chorégraphie. Elle cultive plutôt l'ambiguité comme on l'avait vu faire au printemps avec When the Ice Melts Will We Drink the Water? où douleur et plaisir se confondaient étrangement.

Elle fusionne les disciplines aussi, quitte à déconcerter le public parfois. Son travail se base autant sur la performance (répétition et provocation), l'installation (un décor unique, simple, mais multifonctionnel) et la musique (le corps comme instrument percussif) que sur la danse. Déjà pour cette raison, qui fait penser à l'attitude très ouverte d'une Dana Michel par exemple, même si c'est d'un autre registre, Daina Ashbee est une créatrice à suivre.

Sa pièce commence dans le noir presque total. Seule une note «chantée», qui se transforme en cri strident, nous parvient du fond de la salle... ou de la nuit des temps! La danseuse Paige Culley s'avance peu à peu vers le devant de la scène. L'éclairage change au blanc aveuglant et la performeuse laisse tomber son pantalon pour s'accroupir, nue, devant les spectateurs.

Inconfort, ambiguïté toujours, accentuée par la musique inquiétante de Jean-François Blouin. La performeuse montre un visage impassible, mais qui esquisse peut-être, le temps d'un souffle, un demi-sourire.

S'ensuivra une série de roulades au sol en extrême ralenti. Chorégraphie éreintante physiquement, proche de la contorsion par moments, d'autant plus que Paige Culley se met à frapper le sol avec différentes parties de son corps, imitant le rythme des tambours amérindiens, ce qui renvoie aux origines mixtes de Daina Ashbee.

En roulant et en glissant sur cette banquise bleue blanche qui fond par endroits, la danseuse s'enduira d'eau. Elle sera phoque, poisson, oiseau, dans un processus violent dont elle tente, en vain, de s'extirper. L'eau lui fait perdre pied dangereusement, par moments, au bord du gouffre.

Entre deux eaux, elle est la douleur naturelle, universelle. À la fin, retour au noir et au fond de la salle où la danseuse semblera s'élever un instant, battant des bras, dans un cri rappelant ceux du début. Le cycle se referme sur la douleur féminine de tous les temps. Non, il n'y aura pas de sang.

Que du travail exigeant, mais nécessaire de la part de deux jeunes artistes courageuses qui se donnent totalement.

* * * 1/2

Pour. Chorégraphie de Daina Ashbee, avec Paige Culley. Au Théâtre La Chapelle jusqu'au 30 septembre.